Suivez-moi en Touraine. C’est chez moi. J’en connais les couleurs chaudes de l’automne et le lent vagabondage de la Loire. Entre Cheverny et Fougères, se trouve Oisly, l’un des rares petits villages qui n’a pas sa gentilhommière en tuffeau pour veiller sur lui. A défaut de château, des vignes et des vignerons. Dont un d’exception : Maurice Barbou. Il est plutôt taiseux, ses vins parlent pour lui. Je lui ai rendu visité parce que que mon père y achète son sauvignon en cubi depuis des années et que la Revue des Vins de France a désigné la cuvée Angeline, comme l’un des meilleurs vins de soif de nos régions.
Or, il faut toujours se méfier des vins de soif. En général c’est un mélange de rocaille et de fruits verts. Et si on fait la grimace on a toujours droit à une grande claque dans le dos avec cette réplique « c’est pas un pinard de gonzesse ! Hein ! ». Oh, cette désagréable impression d’avoir un Gérard Depardieu qui veut absolument vous refiler sa piquette angevine.
Pas de panique, Maurice Barbou c’est plutôt Buster Keaton qui projette « le Mécano de la General ». Un chef d’œuvre du muet ! Un silence qui permet de découvrir ce qu’est un véritable vin de soif. Car il a des choses à dire sans éprouver le besoin de les crier. La cuvée Angeline vous promet du cabernet. Il est parfait. Elle a gardé en réserve une petite pointe de Côt ; elle délivre exactement son petit goût métallique. L’équilibre est là. Mais un deuxième verre n’est pas trop pour le vérifier. Du coup, on n’hésite pas à gouter le pineau d’Aunis. Ce cépage local produit un rosé épicé. Là encore, ce rosé est droit, sans concession. Pas besoin d’imaginer un pique nique au soleil avec des amis et de la charcuterie. Ce rosé n’a besoin d’aucune des béquilles indispensables aux autres trop boiteux.
Et j’ai gardé le meilleur pour la fin. Fadel et Justine. Le grand père et la petite fille. Ces deux sauvignons blancs issus de vieilles vignes sont purement délicieux. La cuvée Justine a été saluée par Robert Parker qui affirme que Maurice Barbou « produit les meilleurs Sauvignon blancs – et aux meilleurs prix- de la planète ».
Puissant et pur, légèrement boisé elle tient tête même à un poulet curry au lait de coco thaïlandais. Fadel Barbou est de la même lignée mais sans les quartiers de noblesse d’ une fermentation très lente en fut. A le goûter, il semble que le sandre de Loire ait été pêché pour lui.
En dégustant ces deux nectars, l’émotion est grande. Je détourne le regard pour m’intéresser à la petite étagère dressée contre le mur de la cave. Je m’approche pour lire les étiquettes : les silex qui sont devant moi ont 70 000 ans pour les uns, entre 20 000 et 15 000 ans pour les autres et pratiquement 7 000 ans pour les derniers. Maurice Barbou les a ramassés dans ses vignes avec autant d’amour qu’il a vendangé ses raisons. Ses vins ont une histoire.