Le conseil d’administration de Sanofi a tranché jeudi 10 octobre au soir, c’est Clayton Dubilier & Rice (CD&R) qui a finalement été retenu pour prendre le contrôle d’Opella. La branche santé grand public de la big pharma tricolore devrait donc passer sous pavillon américain. Il resterait encore quelques détails à régler, mais ce fonds, dont le 12e millésime a récolté 26 Md$ (23,4 Md€) à l’été 2023, valoriserait la société spécialisée dans les médicaments sans ordonnance environ 15,5 Md€. Il devance pour mener à bien ce spin-off PAI Partners dans les enchères orchestrées par Bank of America, BNP Paribas, Goldman Sachs, Morgan Stanley et Rothschild & Co. « L’offre de CD&R était mieux-disante et Sanofi a jugé que la perspective de création de valeur était plus forte, avec notamment une gouvernance plus simple », juge un proche du dossier. Pour mener cette opération PAI Partners aurait ainsi dû faire appel à des co-investisseurs, dont plusieurs fonds souverains étrangers (Adia, GIC...), comme révélé par la presse. CD&R, conseillé par Lazard et Citi, peut mener cette opération seul. S'il est mené à son terme, ce LBO, qui va devenir le plus important de l’Histoire en France, devrait s'appuyer sur quelque 8 Md€ de dette avec l’appui de Citi et des banques conseil de Sanofi (BNP Paribas, BoA…). Contactés, Sanofi et CD&R n'ont pour l'heure pas répondu à nos sollicitations.
Opération scrutée par Bercy
Cette transaction ne va pas signifier la fin des liens tricolores d’Opella pour autant. Sanofi va ainsi garder 50 % du capital, même si le contrôle va être transféré à CD&R. Mais des clauses de rendez-vous sont déjà prévues afin d’offrir des fenêtres de liquidité dans les années à venir. Surtout, la vente de la branche santé grand public de Sanofi et ses 5,2 Md€ de revenus 2023 générés grâce à plus de 100 marques de médicaments (Doliprane, Dulcolax, Lysopaïne, Maalox, Novanuit…) est soumise au feu vert de Bercy – en plus des conditions suspensives usuelles. Antoine Armand, ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a ainsi déclaré via un communiqué : « Un certain nombre d'engagements économiques seront exigés de la part de Sanofi et du futur repreneur CD&R. Ceux-ci visent en particulier à garantir le maintien du siège et des centres de décisions sur le territoire national, et à préserver l'empreinte industrielle française d'Opella. » Affichant 1,44 Md€ de résultat opérationnel 2023, cette filiale de Sanofi emploie 1 700 de ses 11 000 collaborateurs en France. Surtout, elle est à la tête du médicament le plus vendu dans nos frontières : le Doliprane. Cette marque de paracétamol a fait l’objet d’une attention particulière durant la pandémie de covid-19 avec des ruptures alors qu’elle est conseillée pour atténuer les symptômes. Le gouvernement avait alors fait de la relocalisation de la production en France de 300 médicaments un sujet d’importance stratégique, avec une enveloppe de 800 M€ débloquée par l’État dans le cadre du plan France Relance. D’ailleurs, 20 M€ ont récemment été débloqués pour l’usine Sanofi de Lisieux, produisant le Doliprane, afin d’augmenter sa capacité de 40 % d’ici 2026.
Investir dans les marques, notamment aux Etats-Unis
Opella va donc conserver son siège social en France et va rester dirigé par Julie Van-Ongevalle. L’enjeu de CD&R va être d’investir afin de redynamiser plusieurs marques du portefeuille, notamment aux Etats-Unis, le premier marché avec 24 % des ventes 2023, devant la France (près de 10 % des revenus). Sanofi s’est récemment renforcé outre-Atlantique avec l’acquisition en septembre 2023 de QRIB Intermediate (détenteur de la marque de compléments alimentaires QUNOL) pour 1,4 Md$ (1,3 Md€). Les recettes aux Etats-Unis ont ainsi bondi de 24 % au premier semestre 2024 (après une baisse de 1 % en 2023), dans un contexte de hausse globale d’activité de 4 % pour Opella. Cette croissance du chiffre d'affaires sur les six premiers mois n'a pas empêché le résultat opérationnel de baisser de 13 % sur la période. « Rien d’alarmant, cela peut être lié à des produits sporadiquement moins sollicités car il y a moins de rhume sur une période, par exemple, explique un proche de la société. L’objectif va justement être d’augmenter les investissements marketing et commerciaux afin de dynamiser le portefeuille et mener des acquisitions stratégiques. » Cette cession permet à Sanofi de se recentrer sur la biopharma (les médicaments et vaccins à forte valeur ajoutée). Le groupe de 43 Md€ de chiffre d’affaires ne devrait cependant pas réallouer l’ensemble de son produit de cession à cette activité notamment reconnue pour ses traitements contre la sclérose en plaque, le diabète ou encore des maladies rares. En effet, il avait d’abord indiqué étudier une possible cotation d’Opella, en fonction des conditions de marché, afin de « récompenser les actionnaires de Sanofi ». Cette annonce n'a pas fait bondir le cours de Bourse du groupe dirigé par Paul Hudson, qui a même ouvert en très légère baisse (- 0,15 %) avec un titre qui s'échange à 100,2 euros.