Qualifié d'instrument semi-collectif la SFA est-il un atout ou une menace pour les créanciers financiers ? La table ronde organisée par Taj avec CFnews a tenté d'y répondre alors qu'un certain nombre de questions se posent encore sur son champ d'application. Résumé
Inspirée des affaires Technicolor et Autodistribution, grandes entreprises avec des bilans très financiarisés et des créanciers dispersés pour lesquels la sauvegarde classique a montré ses limites, la SFA (Sauvegarde Financière Accélérée) , sixième outil juridique dans l'univers du restructuring est opérationnel depuis mars dernier. Mais, dans un droit d’expérience où la jurisprudence va faire beaucoup, les acteurs du secteur, créanciers financiers en tête, s’inquiètent du flou des textes. Lors du débat organisé par CFnews et Taj, société d’avocats, membre de Deloitte Touche Tohmatsu Limited, le 17 mai dernier, les spécialistes du retournement ont tenté de poser les enjeux de ce nouvel outil hybride. Arme de dissuasion ou véritable outil de conciliation, la pratique de cette procédure, laisse planer encore bon nombre d’interrogations.
L’esprit de la loi : éviter les blocages issus de minoritaires
Instrument "semi collectif", la SFA constitue une passerelle entre les procédures amiables (mandat ad-hoc et conciliation) et les procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire). « Il s’agit d’une nouvelle procédure de sauvegarde nécessitant l’ouverture préalable d’une conciliation. Sa vocation première est d’accélérer le processus dans un délai maximum de deux mois pour diminuer la perte de valeur et l’impact sur l’image de l’entreprise, préjudiciable à tous », a expliqué Arnaud Pedron, avocat directeur chez Taj (photo ci-contre). Accélérer, c’est-à-dire éviter les blocages d’une minorité de créanciers financiers qui empêcheraient une restructuration nécessaire de la dette. Pour cela elle impose de trouver une solution à la majorité des deux tiers au sein d’un plan de sauvegarde, avant d’être arrêté par le jugement d’un tribunal. Cependant si l’esprit de la loi est bien d’accélérer les procédures, « à ce stade, les recours à la SFA vont rester très rares, peut-être va t-on voir un ou deux cas par an », a souligné Frédéric Abitbol, administrateur judi ciaire chez SCP Valliot-Le Guerneve-Abitbol (photo ci-dessous). Justement un ou deux cas par an, mais lesquels ? Car, avant même de savoir si la procédure va être utile et utilisée, encore faudrait-il détenir une définition de ses cibles. Et si elle ne s’adresse évidemment pas aux petites PME, la question de la définition des entreprises concernées n’est toujours pas tranchée et provoque une incompréhension des acteurs du secteur.
Application aux holdings : l’impasse de la loi Warsmann
« Aujou rd’hui nous sommes dans le flou sur la question des seuils », constate Arnaud Pedron. La loi de départ du 22 octobre 2010 avait en effet défini celui de 20 M€ de chiffres d’affaires pour 150 salariés pour le groupe. Un cadre ensuite modifié par la loi Warsmann (loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit) du 14 avril 2011 qui a souhaité remplacer ces derniers par un seuil de total bilan restant à définir par décret étant précisé que le précédent projet du 9 mars 2011 prévoyait de maintenir ces seuils de chiffre d’affaires et d’effectif en y ajoutant des critères de comptes consolidés pour pouvoir appliquer la SFA aux holdings porteuses de dettes, ce qui n’était pas le cas précédemment. « Le problème c’est qu’après adoption de la loi, il y a eu un recours de la part des députés et sénateurs devant le Conseil Constitutionnel. Ce dernier a considéré tout récemment (le 12 mai 2011), alors qu’il n’était pas saisi sur ce point spécifique de la SFA, qu’il était non constitutionnel. A noter au passage que le Conseil Constitutionnel a fait une mauvaise lecture de la loi Warsmann puisqu’il a indiqué que c’est uniquement pour les sociétés établissant des comptes consolidés que les seuils de chiffre d’affaires et d’effectif sont remplacés par un seuil de total bilan. Ce sont donc toujours les seuils de chiffre d’affaires et de nombre de salariés qui s’imposent et à ce stade et les holdings d’acquisition ne sont pa s concernés même s’ils portent la dette », a poursuivi le spécialiste. Guillaume Vanderheyden, Rapporteur au Comité Interministériel de Restructuration (CIRI) (photo ci-contre), qui a participé à l'élaboration de cette mesure avec Fanny Lettier, secrétaire générale du CIRI, a souligné pour sa part que « c’est une censure sur la procédure et non sur le fonds. Nous souhaitons donc que le nouveau seuil de total bilan soit très vite inséré dans le cadre législatif même si c’est difficile de le faire par décret. »
Une législation protectrice pour les entreprises
Mais pour l’administrateur judiciaire, Frédéric Abitbol, la décision du Conseil Constitutionnel ne constitue pas "un blocage". "La SFA ne sert que dans les cas où la dette est dans l’entreprise, pour les holdings, nous utilisons la sauvegarde classique et c’est réglé en six semaines. La question des seuils est donc indifférente. » Du côté de Taj, Stéphanie Chatelon, avocat associée (photo du paragraphe ci-dessous) a souligné que la SFA est utile pour les deux populations. « C’est un outil supplémentaire dans un boîte à outil qui en compte déjà beaucoup, deux amiables et quatre collectives, ce qui dote la France de la palette européenne la plus complète. Même si ça n e marche que deux ou trois fois dans l’année, cela fait tout de même autant d’entreprises sauvées », a t-elle expliqué. Un avantage compétitif que ne goûte pas forcément les créanciers dans un arsenal juridique français très protecteur pour l’entreprise. « Les financiers étrangers ont déjà compris que les entreprises en difficulté dans notre pays étaient difficilement ultra-financiarisables », a commenté , président fondateur du fonds dédié aux entreprises sous performantes, Perceva Capital, (photo ci-contre) qui leur apporte de la "new money".
La "conciliation sauvegardée"
Si la SFA ne chamboule pas les pratiques de la restructuration, elle remet en cause quelques dogmes. « On peut se demander si on ouvre pas un pas vers les procédures semi collectives. Les dogmes évoluent déjà depuis quelques temps. Auparavant entre le collectif et l’amiable, la cessation de paiement s’imposait comme une ligne Maginot désormais, rien n’est plus figé. De plus le traitement de la fin de l’égalité des créan ciers est vraiment une nouveauté », a poursuivi l’avocate. Une nouvelle procédure qui répond à des besoins, mais qui est aussi clairement une arme dissuasive. « La SFA pousse à l’adhésion d’un accord de conciliation avec, si je suis un créancier minoritaire, le spectre de me faire imposer par le tribunal une décision défavorable que j’aurais pu négocier auparavant », a détaillé Stéphanie Chatelon qui rappelle qu’il n’y a pas de privilège du new money dans la SFA. Inégaux entre type de créanciers, les financiers sont en effet tous logés à la même enseigne. Difficile cependant de réconcilier des intérêts divergents en fonction de leur nature. « La SFA n’est là pour ça, mais plutôt pour forcer la main des récalcitrants. C’est une solution coercitive, qui permet de « sauvegarder la conciliation », il est donc logique qu’elle soit perçue comme une arme par les financiers qui sont d’ailleurs les seuls impactés », a poursuivi Arnaud Pedron.
Futurs sujets de contentieux?
En conclusion, Hugues Maisonnier, Directeur des Affaires spéciales et du Recouvrement chez BNP Paribas, créancier inquiet du passage d’une conciliation à une procédure collective a mis le doigt sur un probable futur sujet de contentieux. « Est ce que les dettes dans le cas des déclarations de créances seront bien reconnues, y aura t-il une liste contrôlée par une administrateur suivi d’une liste officielle, à défaut cela ouvre la voie à des contestations permanentes ? » a t-il demandé aux intervenants. « Le problème se résout de lui-même, ou bien on a un protocole qui reconnaît les créances et dans ce cas il n’y a pas de contestation ou bien il n’y a pas de protocole et dans ce cas il n’y a pas de SFA », a répond u Frédéric Abitbol. La SFA reste en effet une phase ultime. Arriver à ce niveau, tout doit donc être déjà négocié et la conciliation déjà établie. Le sous-jacent de la SFA restant un business plan crédible pour le redéploiement de l'entreprise.
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