Comme en France les PME du « Mittelstand » doivent gérer leur succession. Zoom sur un environnement légal et fiscal spécifique afin de réussir ses acquisitions transfrontalières.
Le « modèle » allemand est à la mode. Il s’appuie notamment sur un dense tissu d’entreprises moyennes formant le Mittelstand et qui suscite depuis quelques années réflexions et analyses en France[1]. Le Mittelstand désigne les PME allemandes de moins de 500 salariés avec un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 M€ ; ces entreprises – en moyenne de dimension plus importante que les PME françaises - sont généralement compétitives et exportatrices, souvent familiales et fortement implantées (et soutenues) localement.
Ces PME allemandes sont aussi de potentielles cibles d’acquisitions. Nombre d’entre elles doivent faire l’objet d’une transmission patrimoniale dans les prochaines années. L’ Institut für Mittelstandsforschung (Institut de recherches sur les PME allemandes) a en effet recensé dans une étude récente qu’environ 110 000 entreprises familiales allemandes allaient être confrontées à une situation de succession dans les trois ans qui viennent ; on sait d’expérience que de telles transmissions familiales constituent des opportunités d’acquisition pour des repreneurs avisés.
Or, ces entreprises évoluent dans un environnement légal et fiscal spécifique - différent de notre modèle français - qu’il convient de (mieux) connaître dans la perspective de réalisations d’acquisitions transfrontalières.
Quelques illustrations de ces différences :
Formes sociales
Dans une très grande majorité des cas, les entreprises du Mittelstand sont constituées soit sous forme de société à responsabilité limitée ( Gesellschaft mit beschränkter Haftung ou « GmbH »), soit sous forme de société en commandite simple ( Kommanditgesellschaft ou « KG ») et plus précisément sous forme de « GmbH & Co. KG », dans laquelle une société de capitaux, une GmbH, est l'associée commanditée de la KG, assurant in fine une limitation de la responsabilité des associés de la GmbH & Co. KG. Les KG sont transparentes en matière d’imposition des bénéfices : l’impôt est directement à la charge des associés (application de l’impôt sur le revenu si les associés sont des personnes physiques). Elles échappent par ailleurs à la co-gestion comme toutes les sociétés de personnes allemandes. Le droit des sociétés allemand permet de combiner d’autres formes sociales, comme par exemple une fondation avec une société par actions (ex: Carl-Zeiss), ou encore une fondation avec une GmbH (ex: Robert Bosch). Le législateur allemand s'est efforcé ces dernières années à assouplir le droit des sociétés, notamment pour s’adapter aux exigences des PME (par exemple au travers de la dernière réforme du droit des GmbH de 2008). En revanche, les sociétés anonymes ( Aktiengesellschaft ou « AG ») restent essentiellement réservées aux sociétés cotées.
Les actes des organes sociaux (i.e. procès verbaux des décisions) sont comparativement concis et simples et, même si la notion de protection du capital social se traduit par certaines dispositions plus contraignantes en droit allemand qu’en droit français et que le notaire est souvent requis pour dresser certains actes (les coûts associés à son intervention étant surtout importants en matière de cessions de parts), l'environnement juridique et administratif allemand est généralement vécu comme bien plus léger et prévisible que ce que les entrepreneurs vivent au quotidien en France.
Fiscalité
Même constat en matière fiscale. L’imposition moyenne des entreprises allemandes n’est pas très différente de celle des entreprises françaises mais il existe un nombre de taxes diverses bien moins important, l’absence de taxes assises sur les salaires, et une plus grande stabilité des règles contribuent à conférer aux entreprises un cadre à la fois cohérent et plus sécurisant.
On chercherait vainement en Allemagne les multiples « niches » fiscales qui caractérisent la fiscalité française. Notamment, pour les entreprises, pas de trace d’un crédit d’impôt recherche, ce qui n’a pas empêché la part de recherche et développement par rapport au PIB de progresser en Allemagne sur les dix dernières années, alors qu’elle régressait en France.
Le législateur allemand a toujours veillé à préserver les PME. Ainsi, les règles applicables en matière de déduction des charges financières ne s’appliquent qu’à partir de 3 millions d’euros d’intérêts nets annuels versés, ce qui en limite l’application aux groupes de grande taille.
Financement
Les financements de besoins en fonds de roulement des sociétés du Mittelstand sont souvent assurés par la trésorerie accumulée avant la crise et les capacités d’autofinancement restent importantes. Traditionnellement proches des banques régionales, ces entreprises se financent davantage au moyen de crédits traditionnels et sont souvent réticentes à l’entrée d’investisseurs, même minoritaires, qui limiteraient leur autonomie de gestion et de direction. Environ 500 PME allemandes auraient eu recours à des prêts mezzanine qui arriveront à échéance entre 2011 et 2014 et 2/5e de ces PME sembleraient pouvoir sans difficultés les rembourser. Il s’agira, quant aux autres, de trouver des refinancements notamment par des fonds dédiés au Mittelstand promus par certaines banques. Les emprunts obligataires se développent nettement plus que par le passé. Deutsche Börse et des marchés régionaux ont créé des compartiments dédiés au Mittelstand pour des volumes d’émission à partir de 10 à 25 millions d’euros.
Gouvernance
La pratique de gouvernance des sociétés allemandes se distingue à plusieurs égards des pratiques françaises : la GmbH est souvent représentée par deux gérants conjointement ou par un gérant avec un Prokurist (un fondé de pouvoirs qui n’est par l’effet de la loi pas autorisé à contracter certaines opérations, telles les acquisitions ou ventes immobilières). La AG est toujours constituée avec un directoire et un conseil de surveillance. Le système moniste français reste inconnu sauf en matière de Société Européenne.
Et bien entendu, en matière de gouvernance, s’impose cette particularité allemande, la co-gestion. Le système allemand de co-gestion s’exerce dans le cadre de deux institutions : le Betriebsrat (conseil d’établissement) et l’ Aufsichtsrat (conseil de surveillance).
Le conseil d’établissement peut être constitué dans tous les établissements d’au moins 5 salariés. Il organise les rapports sociaux au quotidien et dispose de droits allant d’un simple droit d’information jusqu’à un véritable droit de veto et même un droit de co-décision dans les cas énumérés par la loi. Pour la plupart des questions touchant à la gestion du personnel et aux conditions de travail (embauches, licenciements, indemnités de licenciement, horaires, conditions de travail….), l’employeur ne peut prendre de décision sans avoir préalablement consulté le Betriebsrat. Le dispositif législatif énumère le détail des droits du Betriebsrat et organise les procédures de concertation et de résolution des désaccords.
Le second niveau d’exercice de la co-gestion concerne les sociétés de capitaux dès lors qu’elles emploient plus de 500 salariés. Le conseil de surveillance est alors composé d’un tiers de représentants des salariés. Si elles emploient plus de 2 000 salariés, il est même instauré une parité des représentants des salariés et des représentants du capital au conseil de surveillance, étant toutefois précisé qu’en cas de partage des voix, le Président du conseil de surveillance, en pratique généralement élu parmi les représentants des actionnaires, disposera d’une voix prépondérante. Ce principe de co-gestion permet aux représentants salariés d’avoir accès à toutes les informations concernant la situation économique et financière de l’entreprise et de les associer à toutes les décisions importantes.
Les mécanismes de co-gestion permettent de faire entendre les intérêts des salariés aux différents niveaux de décision. Controversée dans les contextes d’internationalisation et financiarisation de la vie économique allemande, la co-gestion reste néanmoins souvent considérée comme l’un des piliers de la paix sociale en Allemagne et son acceptation auprès des dirigeants reste dans son ensemble forte.
Il ressort de ce bref aperçu que les PME d’outre Rhin constituent- en dépit de particularités et spécificités, indéniables certes, mais surmontables - de formidables opportunités de développement et d’internationalisation pour des entrepreneurs français.
[1] Cf. notamment le récent Rapport au Sénat du 22 juin 2011 de Monsieur M. Bernard Angels sur la prospective du couple franco-allemand ou le rapport « Mittelstand : notre chaînon manquant » réalisé à la demande du Secrétaire d’Etat aux Entreprises et au Commerce Extérieur par M. Christian Stoffaës en 2007.