Laurent Hepp, Morgan Toanen, CMS Francis Lefevre
Malgré les espoirs suscités par l’article 11 de la directive européenne de lutte contre l’optimisation fiscale (ou «ATAD» pour Anti Tax Avoidance Directive), autorisant sa transposition au 1er janvier 2024, le gouvernement a finalement choisi de bouleverser le régime de déductibilité des charges financières en procédant à cette transposition en droit français dès le 1er janvier 2019 et pour tous les emprunts en cours. Même si à Bercy on souligne que l’impact budgétaire d’une telle mesure est difficilement chiffrable pour les entreprises, on la considère favorable et on anticipe à ce titre une diminution globale des recettes de l’impôt sur les sociétés de l’ordre de 200 millions d’euros. La réalité est plus complexe et la nouvelle donne devrait faire, parmi les LBO en cours ou à venir, des gagnants et des perdants.
Une tentative de simplification peu convaincante
C’est un fait, les dispositifs français régissant la déductibilité des charges financières étaient devenus un millefeuille d’une complexité de plus en plus indigeste. Aussi, la réforme adoptée par la loi de finances pour 2019 s’attache à la fois à simplifier le régime existant et à l’adapter aux contraintes posées par la directive ATAD. Schématiquement, la simplification consiste en la suppression de trois des six dispositifs visant la limitation de la déductibilité des charges financières. Adieu aux dispositifs tenant à la localisation du centre de gestion des participations acquises par endettement (dit « Carrez »), au « rabot fiscal » et (mais en apparence seulement) aux règles dites de « sous-capitalisation ».
Le casse-tête subsiste néanmoins après la réforme, la détermination des charges financières déductibles résultant encore de l’application de quatre dispositifs : ceux relatifs au taux d’intérêts plafond, celui exigeant une imposition minimale des intérêts entre les mains des entités liées créancières, celui luttant contre les achats « à soi-même » réalisés dans le cadre de l’intégration fiscale (dit « Charasse »), auxquels vient désormais s’ajouter le nouveau dispositif ATAD. En substance, ce dernier plafonne en principe la déduction fiscale des « charges financières nettes » au plus élevé des deux montants suivants : 3 M€ ou 30 % d’un « Ebitda fiscal ».
Les charges financières s’entendent au sens large et correspondent aux « intérêts sur toutes les formes de dettes ». Une liste non exhaustive des charges financières est établie parmi lesquelles figurent les « frais de dossier liés à la dette », les « frais de garantie relatifs à des opérations de financement » ou encore les paiements au titre des contrats de swap. Points de vigilance importants : l’Ebitda servant de référence pour le nouveau dispositif est un « Ebitda fiscal », qui ne coïncide pas parfaitement avec la notion financière d’Ebitda et qui part du résultat fiscal pour y ajouter charges financières nettes, amortissements, provisions et autres ajustements. Dans les groupes fiscalement intégrés, la déduction des charges financières nettes s’opère au niveau du résultat d’ensemble et à proportion d’un Ebitda fiscal groupe.
Par ailleurs, l’ancien régime de sous-capitalisation resurgit en filigrane puisqu’une entreprise, dont le ratio dette « liée »/fonds propres excède 1,5, verra la limite de déduction afférente à cette dette diminuée dès lors que ses charges financières nettes dépassent le plus élevé de ces deux montants : 1 M€ ou 10 % de l’Ebitda fiscal. Comme par le passé, diverses clauses de sauvegarde permettent aux entités ou aux groupes fiscaux mieux capitalisés ou moins endettés que le groupe consolidé auquel ils appartiennent de bénéficier d’un complément de déduction.
Enfin, les charges financières nettes non déductibles sont reportables en avant sans limite de temps et sans décote, sauf en cas de sous-capitalisation où une décote de 2/3 peut s’appliquer. L’éventuelle capacité de déduction inemployée sur un exercice peut quant à elle être reportée sur les cinq exercices suivants. Force est ainsi de constater au terme de cette énumération que la simplification espérée des règles de déduction reste modérée et que l’avenir en la matière rappelle encore beaucoup le passé !
Quels impacts pour les structures existantes ?
La réforme bouleverse l’écosystème existant et crée une asymétrie selon le profil fiscal. Seront ainsi gagnantes les entités « opérationnelles » suffisamment capitalisées, fiscalement intégrées, dès lors que les entités du groupe réalisent un Ebitda conséquent. Les charges financières du groupe deviennent en effet intégralement déductibles, alors qu’au-delà de 3 M€, 25 % de ces dernières devaient être réintégrées en application du « rabot fiscal ». En revanche, sauf à bénéficier d’une clause de sauvegarde prévue par le nouveau texte, les véhicules d’acquisition endettés et ne pouvant se prévaloir d’un Ebitda groupe suffisant, et les sociétés de groupes non intégrés fiscalement ou sous-capitalisés du fait de difficultés économiques devraient être les principaux perdants.