Qu’apprenons nous de cette situation inédite ? Quels en sont les impacts sur le management ? Pour le savoir et commencer à imaginer l’ « après », le conseil en stratégie et communication lyonnais Ekno a interrogé près d’une centaine de dirigeants et managers de grands groupes, ETI, PME. Décryptage avec son dirigeant, Jean-Marc Atlan.
CFNEWS : Quels ont été les impacts de la crise sur le management des entreprises ?
Jean-Marc Atlan : La capacité des organisations à se remettre en cause en a surpris plus d’un ! Nombreux sont les dirigeants à avoir compris que leur organisation pouvait changer du jour au lendemain. Par conséquent, beaucoup d’entreprises ont pu assurer la continuité de leurs activités en mode a priori dégradé mais, dans certains cas, avec une efficacité individuelle et collective supérieure à ce qu’elle était auparavant. Enfin, les dirigeants et les managers se sont concentrés sur leur fonction essentielle -manager et piloter des gens-, plutôt que de gérer des process. Nous avons pu observer que même des patrons de grands groupes ont dû s’occuper des gens en général et... surtout en particulier car chacun encaisse ce type de situation de façon différente, avec des inquiétudes différentes. En revanche, il apparaît aussi que les « bons » managers sortiront grandis de cette période tandis que ceux qui ne le sont pas auront beaucoup plus de mal à s’en remettre…
CFNEWS : Comment les managers peuvent-ils réagir face à cette agilité révélée, cette efficacité des collaborateurs parfois très investis… mais aussi face aux inquiétudes de ces derniers, aux questions qu’ils se posent sur leur rapport au travail ?
J-M.A. : Ce qui est incroyable dans cette crise, c’est que tout le monde la vit au même plan, au même moment (mais pas au même degré). Il sera déterminant de savoir apprendre de soi-même, de l’expérience vécue. Une des leçons importantes de notre étude c’est que tout le monde, dirigeants compris, s’est posé ce genre de question personnelle. Je pense qu’il faudra surtout, au moment du déconfinement, se remonter les manches, bien sûr, et prendre le temps d’opérer un retour d’expérience, d’encaisser, de digérer. Il ne faudra pas se tromper de combat : les troupes sont inquiètes et fatiguées car le télé-travail est souvent épuisant. Les dirigeants devront donc se plier à cet exercice du debriefing, délicat vu la fragilité économique de certaines organisations. Et ceux qui le feront progresseront.
CFNEWS : On peut lire dans l’étude que les entreprises auraient pris conscience de « la dimension collective déterminante », et ce dans « leurs écosystèmes, avec leurs partenaires et jusque dans les relations avec la puissance publique »… qu’est ce que cela peut changer ?
J-M.A. : Avec la violence du choc, les entreprises ont découvert leurs points de fragilité et fait l’expérience du caractère essentiel de leur écosystème de proximité. Certaines souhaitent désormais renforcer leurs partenariats, envisageant même de payer plus cher. Elles ont fait l’expérience de l’interdépendance, y compris avec la puissance publique qui soutient actuellement le chômage partiel de 11millions de personnes.
CFNEWS : On évoque même un « repositionnement stratégique" des questions de RSE ?
J-M.A. : Disons qu’il faudra moins en parler et plus en faire. Je ne crois pas au « monde d’après ». En revanche, la RSE doit faire partie du business model et ne plus être traitée comme un sujet « à part ». La pression sociétale sera plus forte qu’avant. Tout ceci nous ramène à la vulnérabilité… et donc à la solidarité.
CFNEWS : Vous soulignez que le rapport au risque, aux autres, au temps a changé… c’est un peu une nouvelle ère qui s’ouvre aux entreprises ?
J-M.A. : Il y a cette notation de solidarité que je viens d’évoquer, la question de la santé au travail qui devient cruciale pour les dirigeants et cette question du temps… Pendant plusieurs mois en effet, la visibilité sera nulle. Les dirigeants, coutumiers du « grand écart » entre court terme et long terme seront soumis à une pression forte sur le quotidien et n’auront d’autre solution, c’est notre hypothèse, que de se concentrer sur les raisons d’être de leur entreprise pour se projeter dans l’avenir. Autrement dit, comme le remarquait l’un des dirigeants que nous avons sollicités, « on sera plus dans le « pourquoi » et le « comment » que dans le « combien ». Et les dirigeants devront réussir tout à la fois à mettre les mains dans le cambouis tout en développant une vision à 20 ans, plutôt qu’un plan à 3 ans. La projection sera nécessaire pour susciter la confiance. Un des dirigeants l'assurait : «Nous n'aurons pas besoin de sauveurs mais de rassembleurs.»
CFNEWS : L’étude révèle que cette crise éclaire, accélère voire concrétise«» des évolutions ou ruptures déjà en cours et incite à cultiver de nouvelles références : de quoi s'agit-il ?
J-M.A. : Les évolutions ou ruptures en question relèvent de ce qu’a déjà généré la digitalisation. Ce qui avait été initié a été accéléré sous la contrainte. En outre, cette crise a montré que les gens sont autonomes et responsables, a aplati les hiérarchies dans l’entreprise et démontré que de tels fonctionnements étaient soit nécessaires, soit possibles. Les dirigeants que nous avons interrogés réfléchissent désormais beaucoup sur les notions d’autonomie, de solidarité, d’utilité, d’humilité…
CFNEWS : Nouvelle ère, nouvelles références… Comment faire pour que tout ceci ne reste pas lettre morte ?
J-M.A. : La pression des collaborateurs, qui ont découvert de nouvelles façon de travailler, et de la société, qui a découvert que les entreprises sont utiles, sera telle…. Il ne faut pas oublier que les entreprises sont opportunistes et sauront se réinventer.
CFNEWS : Les dirigeants sont-ils prêts pour le déconfinement ?
J-M.A. : La plupart d’entre eux sont prêts à capitaliser sur leur expérience et ont compris qu’ils devaient s’occuper de leurs collaborateurs. Évidemment, l’expérience du télé-travail pose de nouvelles questions d’organisation et le déconfinement pose des questions immédiates d’organisation pour assurer la sécurité des collaborateurs. Mais la question pour les dirigeants c’est : « Comment me changer, moi ? »