Guillaume Briant, Stephenson Harwood
La loi d’urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19, habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure afin de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie et pour limiter cette propagation. Ainsi, par ordonnance n°2020-321 du 25 mars 2020, le Gouvernement a pris la décision d’adapter les règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de Covid-19. Les dispositions de l’ordonnance entrent rétroactivement en vigueur à compter du 12 mars 2020, et seront applicables jusqu’au 31 juillet 2020 sauf prorogation jusqu’au 30 novembre 2020 au plus tard (par décret en Conseil d’Etat), afin de sécuriser les réunions des assemblées générales et des conseils qui auraient pu se tenir dans un contexte incertain. Un décret d’application de l’ordonnance devrait en préciser les conditions d’application. Le Gouvernement a également publié l’ordonnance n°2020-318 du 25 mars 2020 afin d’adapter les règles relatives à l'établissement, l'arrêté, l'audit, la revue, l'approbation et la publication des comptes annuels dans le contexte de l'épidémie de Covid-19.
Quelles nouvelles solutions sont offertes par l’ordonnance pour la tenue des assemblées et des réunions des organes de direction ainsi que pour la clôture des comptes annuels ? Mais d'abord un court rappel des principales règles applicables aux SAS et aux SA préalablement à la publication de ces ordonnances.
1. Règles relatives aux réunions dématérialisées dans les SAS et SA préalablement à l’ordonnance n°2020-321
a) Sociétés par actions simplifiées
Préalablement à l’ordonnance n°2020-321, les associés de SAS disposaient déjà d’une grande souplesse pour organiser leurs assemblées. Celles-ci pouvaient donc se tenir par visioconférence ou audioconférence pour autant que cette faculté soit prévue dans les statuts. Il en est de même pour les éventuels conseils créés statutairement (par exemple d’administration ou de surveillance).
b) Sociétés anonymes
Assemblées générales. Lorsque les statuts le prévoyaient, les actionnaires pouvaient déjà participer aux assemblées générales par visioconférence ou par tout moyen de télécommunication permettant leur identification et participation effective. Pour cela, la société était tenue d’aménager un site dédié, permettant de (i) transmettre au moins la voix des participants, et de (ii) satisfaire à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations. Chaque actionnaire devait également recevoir un code d’accès lui permettant de s’identifier sur ce site. Il faut noter que, dans les sociétés non cotées, il était même possible de tenir une assemblée générale de manière exclusivement dématérialisée, mais les actionnaires détenant au moins 5% du capital social disposaient alors d’un droit d’opposition à l’organisation d’assemblées générales extraordinaires dématérialisées.
Conseil d’administration. Tant pour les sociétés cotées que pour les sociétés non cotées, les statuts déterminent les règles relatives à la convocation et aux délibérations des conseils d’administration. En principe, les administrateurs doivent être physiquement présents lors des réunions du conseil. Toutefois, le règlement intérieur du conseil peut prévoir la possibilité pour les administrateurs de participer aux réunions du conseil d’administration par visioconférence ou autre moyen de télécommunication. Pour cela, la solution technique retenue doit permettre d’entendre les participants ainsi qu’assurer la retransmission continue et simultanée des délibérations. En revanche, le recours à la visioconférence ou autre moyen de télécommunication n’est pas possible lorsque le conseil d’administration procède à l’arrêté des comptes et à l’établissement du rapport de gestion.
2. Les solutions apportées par l’ordonnance n°2020-321 pour faciliter les réunions dématérialisées dans les SA et SAS
L’ordonnance du 25 mars 2020 a considérablement assoupli les règles relatives aux modes de décision des assemblées et organes collégiaux de direction des sociétés, afin de remédier à l’impossibilité de tenir des réunions physiques pendant cette période de confinement.
a) Flexibilité dans l’organisation des assemblées
Tenue des assemblées « à huis clos ». L’ordonnance autorise exceptionnellement la tenue d’assemblée « à huis clos ». Cela signifie que l’assemblée peut se tenir sans que les membres (actionnaires, associés, délégués, obligataires ou sociétaires selon le cas) ni que les autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents, que ce soit physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle. La rédaction retenue par l’ordonnance est un peu ambiguë, mais nous comprenons que cette disposition vise à permettre, lorsque l’assemblée devait se tenir dans un lieu affecté par le confinement (à la date de la convocation de l’assemblée ou de sa réunion), un vote des participants exclusivement à distance. Ce vote à distance peut se faire soit (i) avant l’assemblée par correspondance ou par procuration, ou alors (ii) avant ou pendant l’assemblée, via une plate-forme de vote sécurisée sur internet (cf. ci-dessous).
La tenue d’une assemblée à « huit clos » déroge donc de manière exceptionnelle au droit des membres (i) d’assister aux séances, (ii) de poser des questions orales lors de l’assemblée ou (iii) de modifier les projets de résolutions en séance. Ils conservent néanmoins la possibilité de voter, de poser des questions écrites, et de proposer l’inscription de points à l’ordre du jour. Il est intéressant de noter qu’il s’agit de la méthodologie retenue par Elior pour l’organisation de son assemblée générale, sans attendre la publication de l’ordonnance.
Tenue des assemblées de manière « dématérialisée ». L’ordonnance permet la participation des membres aux assemblées par conférence téléphonique ou audiovisuelle, même si cette faculté n’est pas prévue dans les statuts et nonobstant toute clause contraire. Conformément au régime préexistant à l’ordonnance, la technologie utilisée doit permettre (i) d’identifier les membres, (ii) de transmettre la voix des participants, et également (iii) d’assurer la retransmission continue et simultanée des délibérations. Participent ainsi de manière dématérialisée à l’assemblée générale les membres de l’assemblée à proprement parler, ainsi que les personnes ayant le droit d’y assister (c’est-à-dire les commissaires aux comptes et les représentants des instances représentatives du personnel).
Cette souplesse, bienvenue dans la période actuelle, soulève néanmoins un certain nombre de difficultés pratiques, notamment s’agissant de l’organisation du bureau de l’assemblée. Il est également nécessaire de recourir à un prestataire spécialisé afin de pouvoir assurer l’identification des participants et la sincérité des votes exprimés. Dans les sociétés cotées, en particulier, on peut s’interroger sur l’impact que pourrait avoir la tenue d’assemblées à huis clos sur la participation des petits porteurs, parfois moins technophiles.
Consultations écrites. Enfin, lorsque cette faculté était déjà légalement possible (par exemple pour les SAS), les sociétés peuvent recourir à une consultation écrite de leurs actionnaires ou associés sans qu’il ne soit nécessaire que cette faculté soit spécifiquement prévue dans les statuts ou que les statuts ne puissent s’y opposer.
b) Règles de convocation et d’information
Convocation et information des membres. La situation actuelle soulève un certain nombre de difficultés pratiques relatives à la convocation des membres des assemblées et leur information sur le mode de délibération retenu (assemblée à huis clos, dématérialisée, ou consultation écrite). Trois cas de figure sont envisageables : (i) convocation adressée préalablement au confinement pour une assemblée à tenir pendant le confinement, (ii) convocation et assemblée pendant le confinement, ou enfin (iii) convocation adressée pendant le confinement pour une assemblée qui se tiendra postérieurement au confinement. Là encore, l’ordonnance adopte une approche pragmatique pour traiter spécifiquement le premier cas, probablement le plus délicat. Ainsi, lorsque (i) les convocations pour une assemblée ont déjà été envoyées, et (ii) qu’il est ensuite décidé de tenir une assemblée générale à huis clos ou par des moyens d’audioconférence ou de visioconférence, les membres de l’assemblée en sont informés par tout moyen afin d’assurer leur information effective. Cette information doit être faite au plus tard trois jours ouvrés avant la date de l’assemblée. Par exception, s’agissant des sociétés cotées, cette information doit être faite par voie de communiqué dont la diffusion - effective et intégrale - est assurée par la société. Les formalités déjà accomplies n’ont pas à être renouvelées, en revanche les éventuelles autres formalités restant à accomplir demeurent requises.
Demande de communication d’un document. Lorsqu’une société est tenue, préalablement à une assemblée, de communiquer des documents ou informations en réponse à une demande spécifique de l’un des participants à l’assemblée, cette communication peut valablement être effectuée par message électronique dès lors qu’une adresse électronique a été communiquée lors de la demande.
c) Délibérations des organes « collégiaux »
Contrairement au régime antérieur, l’ordonnance autorise désormais les membres des organes collégiaux (conseil d’administration, conseil de surveillance, directoire ou autres organes similaires) à participer aux délibérations par visioconférence ou audioconférence, sans qu’il ne soit nécessaire que cette faculté soit prévue dans le règlement intérieur ou les statuts. Ici encore, la technologie retenue doit permettre d’identifier et entendre les participants, ainsi que la retransmission continue et simultanée des délibérations.
L’ordonnance facilite également les délibérations des organes collégiaux par voie de consultation écrite.
Autre nouveauté, ces facultés sont offertes quel que soit l’objet de la réunion, y compris pour les réunions relatives à l’arrêté des comptes annuels ou l’établissement du rapport de gestion, sans qu’il ne soit nécessaire que les statuts le prévoient et nonobstant toute stipulation contraire des statuts.
d) Entités concernées
L’ordonnance ne s’applique pas uniquement aux SA et aux SAS mais aussi, sans que cette liste ne soit exhaustive, aux sociétés civiles et commerciales, aux masses de porteurs de valeurs mobilières ou de titres financiers, aux groupements d’intérêt économique et aux groupements européen d’intérêt économique, aux coopératives, aux mutuelles, unions de mutuelles et fédérations de mutuelle, aux sociétés d’assurance mutuelle, aux instituts de prévoyance, aux caisses de crédit municipal, aux fonds de dotation, aux associations et aux fondations. Il est intéressant de noter que les sociétés européennes ne sont pas visées par l’ordonnance.
3. Approbation des comptes annuels
Les sociétés doivent le plus souvent procéder à l’approbation de leurs comptes annuels dans un délai de six mois après la clôture de l’exercice. Compte tenu des contraintes liées à la période actuelle, afin d’éviter aux sociétés de devoir solliciter une prolongation de ce délai auprès du président du Tribunal de commerce, l’ordonnance n°2020-318 apporte là encore une flexibilité bienvenue.
L’ordonnance prévoit ainsi que les sociétés peuvent bénéficier d’une extension de trois mois du délai légal d’approbation de leurs comptes annuels. Cette faculté est cependant soumise à une contrainte : le commissaire aux comptes de la société (lorsqu’il y en a un) ne doit pas avoir émis son rapport avant le 12 mars 2020 sinon l’extension du délai d’approbation des comptes ne s’applique pas. Ces dispositions sont applicables aux sociétés devant clôturer leurs comptes avant l’expiration d’un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.
Approche pragmatique espérée
Les enjeux liés à ces ordonnances sont importants puisqu’il s’agit de permettre aux organes des sociétés de continuer à fonctionner malgré les contraintes actuelles tout en assurant à leurs délibérations la plus grande sécurité juridique possible. La réactivité des autorités est à saluer. Elles ont ainsi offert la flexibilité nécessaire aux assemblées et organes de direction, tout en préservant les droits essentiels des membres de ces assemblées.
Naturellement, comme tout texte préparé en urgence, quelques incertitudes subsistent, mais le Q&A rapidement publié par le ministère de l’économie et des finances apporte des réponses concrètes à certaines des questions soulevées par la mise en œuvre des ordonnances. Malgré tout, nous pouvons d’ores et déjà anticiper des questions délicates de droit transitoire lors de la levée de la période de confinement, ainsi que des difficultés pratiques liées aux technologies offertes par les différents prestataires pour tenir les assemblées dématérialisées. Il reste à espérer que les décrets d’application et les lois de ratification des ordonnances apporteront des réponses à ces incertitudes et que les juridictions saisies d’éventuels contentieux sur les délibérations des assemblées et organes collégiaux adopteront une approche pragmatique conforme à l’esprit des ordonnances.