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Allemagne : comment les VCs peuvent-ils investir ?


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Robin Eyben, Maximillian Vocke - Osborne Clarke, Berlin

Robin Eyben, Maximillian Vocke - Osborne Clarke, Berlin

L'année 2019 a été une année record en terme d’investissements en capital-risque en Allemagne, avec plus de 6,2 Md€ investis, dont la plus grande partie (environ 3,7 Md€) dans des start-ups installées à Berlin. En termes de volume total de financement pour l’année 2019, l'Allemagne occupe la deuxième place en Europe (derrière le Royaume-Uni (environ 12 Md€). Compte tenu de la crise liée au coronavirus, il est vraisemblable de s'attendre à un ralentissement de l’activité des start-ups dans toute l’Europe. Néanmoins, les arguments qui militent en faveur des investissements en capital-risque en Europe et en Allemagne demeurent valables à moyen et long terme. En effet, ce sont surtout les excellentes infrastructures et la main-d'œuvre hautement qualifiée qui permettent de créer des entreprises florissantes, et donc d'offrir des possibilités d'investissement dans presque tous les secteurs en Allemagne. À moyen terme, ces facteurs ainsi que les taux d'intérêt faibles et la forte liquidité du marché devraient donc l'emporter sur les préoccupations actuelles chez les investisseurs en capital-risque.

Principales options de financement

Plusieurs formes de financement pour des investissements dans des start-ups allemandes existent. La plus courante, comme en France, est celle d'un tour de financement en fonds propres, pour les investisseurs en capital-risque.

1) En fonds propres

Le tour de financement classique se déroule sous la forme d’une émission de nouvelles actions au bénéfice des investisseurs par le biais d'une augmentation de capital, financée par les investisseurs en fonds propres. Les droits et obligations des fondateurs, investisseurs et des actionnaires entre eux sont réglementés dans un pacte d’actionnaire et une convention d’investissement.

2) Prêt convertible (« Wandeldarlehen »)

Dans la phase d’amorçage d'une start-up ou dans le cadre d’un financement relais (« bridge financing »), des prêts convertibles « Wandeldarlehen », qui rappellent le mécanisme français des obligations convertibles en actions (OCA), sont souvent conclus. En principe, Il faut faire une distinction entre les prêts bilatéraux, qui sont conclus entre la société et un ou plusieurs investisseurs, et les prêts multilatéraux. Dans le cas des prêts multilatéraux, les actionnaires sont également parties à l'accord de prêt.

Les prêts convertibles « Wandeldarlehen » sont une forme de financement en mezzanine destiné aux start-ups. Un prêt subordonné avec un taux d'intérêt fixe et à échéance finale est accordé, puis converti à la survenance d’un évènement, tels que l'exécution d'un tour de financement (qualifié) en fonds propres , en capital de la société à la valeur pre-money de ce tour de financement. Les investisseurs bénéficient généralement d'une décote sur la valorisation du prochain tour de financement. En outre, les investisseurs profitent également de plafonds de valorisation sur le prochain tour de financement. Dans le cas où le prêt convertible « Wandeldarlehen » contraint les investisseurs à adhérer au pacte d’actionnaire, qui doit pour sa part être authentifié par un notaire, alors le prêt convertible « Wandeldarlehen » doit également être authentifié par un notaire. Sinon, il peut également être conclu par acte sous seing privé.

3) Venture Debt

Le financement par Venture Debt se caractérise généralement par un prêt à moyen terme de trois à quatre ans souvent, des intérêts réguliers, des remboursements du principal, une garantie de premier rang sur l'ensemble des actifs de la start-up financée ainsi qu'un taux d'intérêt fixe actuellement de 6 à 12 % par an. Le prêt est également souvent assorti d’une participation supplémentaire de l'investisseur au capital de la société ( « Equity Kicker »). Contrairement aux prêts convertibles « Wandeldarlehen », les financements par Venture Debt sont toujours remboursables et les droits de souscription d'actions accordés aux investisseurs représentent seulement une rémunération supplémentaire. Les investisseurs de Venture Debt sont généralement spécialisés dans cet outil de financement. La levée de Venture Debt a souvent lieu en même temps qu’un tour de financement en fonds propres afin d'augmenter le capital de la société et accroitre sa valorisation pre-money lors du prochain tour de financement.

Le processus d'investissement et la base contractuelle d'un tour de financement en fonds propres

En Allemagne, la plupart des start-ups sont organisées sous forme de sociétés à responsabilité limitée (GmbH), dont les organes prévus par la loi se limitent à la direction et aux actionnaires et qui disposent souvent d’un conseil de surveillance. Les tours de financement sous forme de fonds propres sont réalisés à travers des augmentations de capital de la société, par lesquelles de nouvelles actions sont émises aux investisseurs. De telles augmentations de capital au sein de sociétés GmbH nécessitent toujours d’un point de vue technique l’intervention d’un notaire, où l’ensemble des documents principaux sont lus mots pour mots. Dans la pratique, les investisseurs ne se présentent pas eux-mêmes aux rendez-vous chez le notaire pour l’authentification des documents contractuels d'un tour de financement, mais sont généralement représentés soit par les fondateurs, soit par l’avocat qui les conseille dans le tour de financement. Si l’acquisition d’actions a lieu dans le cadre du tour de financement, la procuration correspondante doit également être authentifiée par un notaire. En ce qui concerne les procurations, le notaire pourra exiger une pièce d'identité ainsi qu'une preuve de l'existence de la société étrangère et du droit de représentation de la personne signant la procuration. Les procurations et autres documents certifiés à l'étranger devront être légalisés et/ou apostillés pour être reconnus par les tribunaux allemands (sauf s'il existe un accord bilatéral sur la reconnaissance des actes notariés).

Le processus d'investissement se décompose en deux parties. D'une part, les investisseurs versent l'apport en capital correspondant aux nouvelles actions émises (généralement un montant correspondant à 1 euros par action). D'autre part, les investisseurs s'engagent à verser le montant restant ou plutôt le montant principal de l'investissement dans les réserves en capital de la société.

1 ) Convention d’investissement (« Beteiligungsvertrag »)

Les règles relatives aux versements supplémentaires de l’investissement aux réserves de capital de la société sont définies dans la convention d'investissement. Les versements supplémentaires sont parfois subordonnés à la réalisation de certaines étapes (par exemple, la réalisation de certains objectifs économiques ou de certains progrès spécifiques de développement). Enfin, la convention d’investissement contient généralement des dispositions sur les garanties et les conséquences juridiques en cas de violation d’une telle garantie. Contrairement à la France, les conventions d’investissement sont en pratique toujours notariés en raison du droit des sociétés allemand plus strict à cet égard.

2 ) Pacte d’actionnaires (« Gesellschaftervereinbarung »)

Dans le pacte d'actionnaires, qui est souvent une annexe à la convention d‘investissement, les investisseurs, les fondateurs et les autres actionnaires règlent sur quelle base et sous quelle forme ils organiseront à l'avenir leur relation juridique en tant qu'actionnaires.

  • Droits d’autorisation préalableZustimmungsrechte »)

L’éventail des droits d’autorisation préalable prévus dans le pacte d'actionnaires, les statuts de la société ou le règlement de procédure interne (« Geschäftsordnung ») garanti aux investisseurs un droit d’autorisation en ce qui concerne les décisions fondamentales et que celles-ci ne peuvent être prises sans la volonté de la majorité des investisseurs ou de l’autorisation de certains investisseurs (notamment des « lead investors »). Les investisseurs se réservent régulièrement des droits d’approbation et de contrôle pour les mesures de gestion qui revêtent une importance particulière pour la société ou pour leur position en tant qu'actionnaire. En règle générale, ces droits sont fixés dans le règlement de procédure interne (« Geschäftsordnung »). L'organe autorisé par le règlement intérieur est soit un conseil de surveillance (« Beirat »), dans lequel les investisseurs sont représentés, soit l'assemblée des actionnaires.

  • Conseil de surveillanceBeirat »)

Outre la direction et l'assemblée des actionnaires, la GmbH a la possibilité d’instaurer un conseil de surveillance en le prévoyant dans les statuts de la société ou du moins en vertu d’un contrat simple. Ces deux types de conseils de surveillance peuvent assumer des fonctions de conseil, de contrôle ou même de gestion. En pratique, le contrôle de la gestion est généralement dévolu au conseil de surveillance sous la forme de droits d'approbation. Les investisseurs assurent leur influence sur la start-up en obtenant le droit, dans le pacte d'actionnaires ou le contrat de société, de désigner au moins un membre du conseil de surveillance et/ou un observateur (« Observer ») au conseil de surveillance.

  • D’autres augmentations de capital et « Super Pro Rata »

Afin d'éviter une dilution de la participation des investisseurs dans les tours de financement ultérieurs, le pacte d'actionnaires accorde aux investisseurs le droit d’exercer un droit de souscription proportionnellement à leur nombre d’actions et donc d'acquérir de nouvelles actions de la société lors d'un tour de financement ultérieur. Cela signifie que l'exclusion habituelle des droits de souscription dans le cadre du prochain tour de financement nécessite toujours le consentement de l'investisseur bénéficiant de ce droit. Il arrive que des investisseurs insistent également dans les tours de financement sur un « Super Pro Rata », c'est-à-dire un droit de souscription qui dépasse leur participation dans la société, ou aussi sur le droit d’effectuer un nouvel investissement dans la start-up aux mêmes conditions (malgré une éventuelle augmentation de la valeur entre-temps) dans un certain délai après le closing du financement.

  • Protection contre la dilution

Les droits de protection contre la dilution permettent aux investisseurs d'acquérir de nouvelles actions de la société à leur valeur nominale si la valorisation du tour de financement suivant est inférieure et qu'il y a donc un Down Round . La protection contre la dilution (« Verwässerungsschutz ») généralement accordée est calculée sur la base de la moyenne pondérée des deux tours de financement (appelé « Weighted Average »). Une protection contre la dilution qui est beaucoup moins souvent accordée est sous forme d’un« Full Ratchet », dans laquelle l'investisseur concerné est placé dans la même position que s'il avait réalisé la totalité de son investissement initial sur la base de la valorisation du tour de financement dilutif.Founder Vesting

Enfin, il est crucial pour les investisseurs que les fondateurs ou l'équipe de direction principale de la société, en tant qu'initiateurs du projet entrepreneurial, soient liés à l'entreprise aussi longtemps et aussi étroitement que possible. L’un des moyens d’y parvenir est de prévoir des dispositions de Vesting dans le pacte d'actionnaires. Le Vesting est principalement mis en œuvre par le transfert d’actions aux fondateurs, sous réserve de la survenance d'événements préalablement définis avant la fin de la période de Vesting, qui dure généralement trois ou quatre ans. Dans certains cas, un « Cliff » d'un an et un mécanisme nommé Accelerated Vesting sont également convenus. Si un fondateur quitte la start-up pendant la période de Cliff, le fondateur respectif doit rendre toutes ses parts dans la société. La conclusion d’un Accelarated Vesting signifie qu'en cas d'acquisition ou de changement de contrôle avant la fin de la période de Vesting, toutes les actions de la société détenues par le fondateur sont automatiquement considérées comme acquises.

  • Les clauses de liquidations préférentielles

Les investisseurs peuvent également bénéficier de préférences en matière de liquidation. En Allemagne, comme en France, la base pour les clauses de liquidations préférentielle dite « 1x multiple and non-participating » est la norme du marché actuel. Le principe dit « cascade » (« Wasserfall-Prinzip ») s'applique, c'est-à-dire que les investisseurs récupèrent d'abord leur capital investi et le produit restant est ensuite réparti entre tous les actionnaires au prorata de leur participation au capital social de la société, déduction faite des sommes perçues aux étapes préalables. Les préférences en matière de liquidation peuvent également être utilisées pour augmenter les revenus. D'une part, il est possible que les investisseurs participent aussi proportionnellement à la dernière étape de la « cascade », c'est-à-dire que les recettes des étapes précédentes ne sont pas créditées à la dernière étape (appelé « Double Dipping »). D'autre part, des multiplicateurs sont également appliqués aux clauses de liquidation préférentielle, c'est-à-dire que les investisseurs reçoivent, par exemple, deux ou trois fois le montant de leur investissement. Certaines préférences de liquidation rapportent en plus des intérêts.

Les domaines de réglementation typiques pour l’investissement en capital-risque sont significativement similaires en Allemagne et en France. Il existe en détail pourtant, certaines différences dans les pratiques du marché qui sont intéressantes du point de vue des investisseurs. De plus, les financements en capital-risque en Allemagne nécessitent généralement une authentification notariale et les investisseurs étrangers doivent donc faire face à un travail administratif accru en termes de procurations et de preuves d'existence et de représentation. Il reste à voir comment le marché allemand va se développer à la suite de la crise du coronavirus et si les règles relatives à l’investissement en capital-risque vont changer. Si tel était le cas, un moyen de minimiser les risques économiques des investisseurs en capital-risque serait l'accord d'investissements par étape ou les clauses de liquidation préférentielle multiples, avec intérêts ou participatives.

*Robin Eyben et Maximilian Vocke conseillent les investisseurs, les fondateurs et les entreprises, allant des jeunes start-ups jusqu'aux grandes sociétés, sur leurs transactions, tours de financement en capital-risque (sous forme de prêts convertibles, d'augmentation de capital et de venture loans), acquisitions stratégiques, joint-ventures, fusions et sorties.

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