La deuxième devrait être la bonne pour Carlyle. Conseillé par Rothschild & Co, le fonds américain est entré en négociations exclusives avec le groupe australien Orora, coté à l’ASX, en vue de lui céder le verrier picard Saverglass. Actionnaire majoritaire depuis 2016, Carlyle avait déjà tenté de céder cette participation forte de 739 M€ de chiffre d’affaires (sur 12 mois au 30 juin 2023) il y a dix-huit mois. Des discussions avancées avec Lone Star avaient alors été engagées, sans pour autant aboutir. Après cet échec, la société de gestion co-dirigée en Europe par Jonathan Zafrani – qui n’a pas souhaité faire de commentaire – avait alors refinancé la dette du groupe via 500 M€ de term loan. Celle-ci, assortie aussi de 70 M€ de RCF et 60 M€ de ligne de capex, permettait au passage de rembourser 100 M€ d’obligations convertibles émises en 2016. La valorisation retenue aujourd'hui, pour cette cession de 100 % de Saverglass à Orora, est de 1,29 Md€, représentant un multiple de 7,7 fois l’Ebitda ajusté de 168 M€ (à fin juin). Le groupe australien sort donc vainqueur d’un processus de cession qui aurait attiré quatre autres candidats, dont les fonds Apollo, One Rock et ICG, selon les informations de L’Informé. La piste d’un nouvel LBO aurait d’abord été envisagée, notamment par le management emmené par le nouveau président, Jean-Marc Arrambourg, nommé en juillet 2022 à la suite du dirigeant historique Loïc Quentin de Gromard. Mais les investisseurs financiers ont montré moins d’intérêt pour Saverglass que l’industriel australien.
Correction du marché du verre ?
« Les réserves de croissance sont relativement limitées puisque Saverglass est déjà le leader mondial des bouteilles en verre premium et haut-de-gamme pour vin et spiritueux, juge un connaisseur du secteur. Et l’activité est intensive en capex, ce qui freine l’appétit des fonds qui n’étaient plus vraiment en lice. » Et en effet, le verrier affiche une marge d’Ebitda importante, de 24,7 %, contre 13,5 % pour l’Ebit, à fin juin 2023. Sur les cinq dernières années, le verrier tricolore a ainsi investi quelque 450 M€ dans ses outils de production, dont 230 M€ pour doubler les capacités de son usine mexicaine. « Il y a eu une crainte de sous-capacité sur le marché des bouteilles en verre et les clients ont donc accéléré leurs commandes futures afin de ne pas subir de rupture d’approvisionnement créant des engorgements et des conditions favorables pour les verriers avec de très bons millésimes ces dernières années. Mais nous nous attendons à une correction d’ici 12 à 24 mois », poursuit notre source. Après deux exercices bouclés à 440 M€, en 2019 et 2020, Saverglass a en effet enregistré une hausse de ses ventes de 19 % en 2021 puis 23 % en 2022. Correction ou non, Orora espère surfer sur cette dynamique apportée par sa future filiale – la transaction doit être bouclée d’ici la fin de l’année après les procédures réglementaires usuelles. En effet, le groupe dirigé par Brian Lowe était déjà présent sur ce marché avec des résultats mitigés, sur un positionnement entrée de gamme via son site australien Gawler. Il indique ainsi dans son rapport annuel 2023 : « Tant le bénéfice que la marge d’Ebit (14,8%) ont été partiellement impactés par la réduction des volumes de bouteilles en verre entraînée par la baisse des ventes des vins australiens (à l'export et au niveau national, et des bières en bouteille) ».
15 M€ de synergies identifiées
Orora avait donc déjà tenté de repositionner ses capacités de production sur d’autres débouchés plus porteurs, comme les eaux pétillantes, les huiles d'olives ou... les spiritueux. Cette dernière verticale est justement une des forces de Saverglass qui tire 65 % de ses ventes de clients du secteur en assurant la production de Grey Goose, Henessy ou encore Glenfiddich. L’Australien a ainsi déjà identifié 15 M€ de synergies d’Ebitda par les simples optimisations opérationnelles, de coût et de réseau. Il compte apporter son site de Gawler, qui va ajouter 360 000 tonnes de capacités additionnelles aux 870 000 des six sites de Saverglass, pour constituer un pôle verre qui sera dirigé par Jean-Marc Arrambourg. Celui-ci va donc s’insérer dans un ensemble qui devrait émerger à 5,5 MdCAN (3,2 Md€) de chiffre d’affaires consolidé LTM au 30 juin 2023 généré aux deux tiers dans l’univers des boissons (il produit par ailleurs des cannettes en aluminium). Le solde va provenir de son activité packaging en carton, qui pesait jusque-là 52 % de ses revenus. Orora va aussi faire son entrée sur le marché européen, qui va représenter post-acquisition 23 % de ses recettes, alors que celles-ci se répartissaient équitablement entre l’Amérique du Nord et l’Asie-Pacifique. Son Ebitda va lui grimper à 749 MCAD (445 M€), soit une hausse de 70 % grâce à Saverglass. Il affichera aussi un total de 8 500 collaborateurs à travers le monde, dont 3 900 apportés par le groupe picard. Pour financer cette opération d’envergure, il compte lever 523 M€ de nouvelle dette (tout en maintenant son levier net sous les 2,5 x) et procéder à 805 M€ d’augmentation de capital.