L’an passé, plus de dix grands laboratoires pharmaceutiques ont signé des acquisitions à plus de 1 Md$, la plupart aux Etats-Unis. Mais cette fois, c’est en France que ça se passe et c’est une première. Amolyt Pharma vient en effet de signer un accord définitif avec le géant britannique AstraZeneca (via sa filiale maladies rares Alexion) qui va s’acquitter d’un versement initial de 800 M$ (734,74 M€) auquel pourra se greffer un paiement d’étape potentiel de 250 M€ (229,62 M€), conditionné à un milestone réglementaire défini post phase III. Soit une acquisition des titres d’Amolyt pour 1,05 Md$, hors trésorerie... laquelle porterait selon toute vraisemblance le montant global de l’opération au-delà du milliard d’euros. L’acquisition reste soumise à l’approbation des autorités réglementaires, laquelle est attendue durant le troisième trimestre 2024.
Une vingtaine d'investisseurs internationaux
Créé en 2014 par Thierry Abribat sur la base de licences acquises auprès de laboratoires académiques américains, Amolyt Pharma a levé 212 M€ depuis sa création. Véritablement opérationnelle depuis 2019, la biotech était notamment sortie du lot début 2023 en réussissant l’une des levées de fonds les plus importantes de l’année dans la tech - 130 M€ - et ce, en un temps record. Au-delà du tour d’amorçage menée auprès d’un pool régional, chacune de ses levées de fonds a été co-leadée par un investisseur français - Kurma Partners et Bpifrance pour commencer, puis Andera Partners pour la série B et enfin Sofinnova Partners pour la série C. Et chacune avait attiré des VCs étrangers, nord-américains, britannique, nordique, israéliens... constituant un pool international d’une vingtaine d’investisseurs.
Lever plus pour aller plus loin
Fort d’une longue expérience dans les biotech, Thierry Abribat a cette fois mené son projet « à l’américaine », selon Alain Lostis, son conseil historique. Autrement dit, après avoir porté deux biotech (Alizé I et II) qu’il avait respectivement cédées à Jazz Pharmaceuticals et Millendo Therapeutics à un stade plus précoce (et pour des prix bien moindres), il avait changé de braquet pour Amolyt. « Quand j’ai créé ma première biotech en 2007, il a fallu s’adapter à l’environnement. Alizé I et II ont été développées sans trop, d’argent, rappelle le dirigeant. Mais entre 2007 et 2019, l’écosystème VC a évolué en Europe avec la création de fonds plus importants, qui travaillent ensemble (...) En réunissant 67 M€ pour la série A d’Amolyt, on a changé de paradigme. Ensuite, on a vu se créer des fonds crossover qui nous ont évité la « vallée de la mort ». Aujourd’hui, nous sommes dans ce nouveau modèle où l’on lève plus d’argent, on va plus loin et on crée plus de valeur car on arrive en phase III. »
Un marché potentiel de plusieurs milliards de dollars
C’est avec son produit phare, l’énéboparatide, qu’Amolyt Pharma adresse une maladie rare - l’hypoparathyroïdie - « pas si rare que ça » puisqu’elle concerne 100 000 patients aux États-Unis et autant en Europe, tous privés de la parathormone qui régule le taux de calcium dans le sang. L’énéboparatide, un peptide synthétique qui imite la parathormone, constitue une thérapie de remplacement qui a fait ses preuves en phase II durant laquelle on teste la tolérance et l’efficacité du produit sur un nombre restreint de malades. Affichant des résultats « très clairs » qui ont permis de conduire les négociations aussi en fonction du potentiel du produit, lequel avait été évalué, début 2023, à 4 Md$ / an. « Au-delà de cet asset, Amolyt Pharma dispose d’un portefeuille cohérent de produits qui seront prescrits par des endocrinologues », soutient Thierry Abribat. La phase III sur l’énéboparatide a débuté avec le recrutement de 165 patients dans 10 pays européens, en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne pour des résultats attendus en 2025. Un autre antagoniste peptidique pressenti dans le traitement de l’acromégalie est actuellement en étude de phase I.
Validation des modèles
Parmi les investisseurs de la biotech, cette cession à plus d’1 Md$ est... réconfortante. Au vu du multiple (entre 3 et 5 x, concède Cédric Moreau partner chez Sofinnova Partners) et surtout de leur TRI, d’abord, ils saluent à l’unisson la trajectoire rapide et sans faute de la biotech qui a su exécuter son programme et tenir son timing sous la houlette de l’équipe expérimentée constituée par Thierry Abribat. Au-delà, la cession d’Amolyt Pharma à Astra Zeneca valide selon eux tout à fois le modèle de financement déployé par l'écosystème français des biotech qui atteint (enfin ?) de leur point de vue un seuil de maturité et aussi un certain profil de biotech, elles aussi plus matures. « On commence à voir les effets du travail de la chaîne de financement », estime Cédric Moreau, qui insiste sur la capacité des VCs hexagonaux à travailler ensemble.
Et maintenant ?
On voit aussi émerger un nouvel état d’esprit chez les dirigeants de biotech, plus expérimentés, qui optent pour des levées de fonds consistantes afin de financer l’intégralité de chacune des phases d’essais cliniques et attirer à eux des profils pointus. Ce qui, dans le cas d’Amolyt Pharma, a fait émerger selon Raphaël Wisniewski, partner chez Andera (qui avait injecté 25 M€ dans la biotech) « une société robuste, soutenue par une syndication puissante avec un produit différencié en fin de processus de développement et bien positionné dans la compétition », soit un profil des plus séduisants pour les big pharmas qui, voyant le « mur des brevets » se rapprocher, profitent de leur firepower (1 370 Md$ selon EY) pour reconstituer le portefeuille d’innovations. Quitte à mettre le prix. Dans le cas d’Amolyt, plusieurs options figuraient en effet sur la table, parmi lesquelles une cotation sur le Nasdaq. Reste à savoir si cette opération marque « le début d’un cycle », ainsi que l’espèrent les financiers répétant à l’envi que « le succès appelle le succès ».