« Le taux de casse dans les portefeuilles est à son plus bas historique », avançait Lucas Pech, director private debt de Golding Capital à l’occasion d’une conférence organisée à Cannes, dans le cadre de ce premier IPEM de 2023. Les chiffres de FitchRatings lui donnent raison, puisque l’agence relève un taux de défaut de 1,2 % sur le marché européen du leveraged loan, à fin 2023, soit un niveau bien inférieur aux 2 % d’il y a un an et des 3,7 % affichés fin 2020. La lecture brute de ces chiffres laisse entendre que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes pour les acteurs de la dette LBO. Et même le faible niveau d’activité ne semble pas déclencher la panique. L’agence de notation constatait une baisse des émissions de près de 44% sur un an à fin décembre, avec seulement 77 Md€ de leveraged loans en Europe en 2022. La réponse des acteurs de la private debt pour rester actifs en cette période de vache maigre a été d’augmenter la syndication. « Historiquement, la philosophie était d’être le seul prêteur sur les dossiers, confirme Amit Bahri, co-head european direct lending chez Goldman Sachs qui intervenait aussi à la conférence. Mais l’arrivée d’émetteurs de taille plus importants sur le marché ces dernières années a poussé les club deals. La présence de plusieurs acteurs permet aussi un meilleur partage du risque. » Des plus petits tickets pour une meilleure diversification des portefeuilles qui ne déplaît pas aux LPs, comme l'a confirmé Henri Lusa, managing director de Partners Group. D’autant que les conditions de marché ont rééquilibré la balance entre émetteurs et prêteurs, avec notamment un retour des covenants sur les plus gros deals et des leviers plus conservateurs au global. L’indice Aether FS Unitranche France montre une baisse à 4,5 fois l’Ebitda au closing des opérations lors du troisième trimestre 2022, soit le plus bas niveau depuis le T2 2019.
Vers une envolée du distressed ?
Mais les prêteurs ne sont pas candides pour autant. « Nous nous attendons à ce que le taux de défaut grimpe au-delà de 5 % dans le futur », estime Lucas Pech. Une projection encore une fois synchrone avec celle de Fitch. L’agence prévoit un taux de défaut à 4,5 % en Europe en 2023, avec des emprunteurs qui n’ont pu refinancer leur loan dans cet environnement et vont faire face à des échéances de remboursement en 2023 et 2024. « On commence à voir de plus en plus de dossiers en distressed, constatait un avocat spécialisé en financement d’un cabinet parisien, en marge de l’IPEM. Et ni les fonds d’unitranche, ni les banques sont favorables pour des négociations amiables, mais se montrent plutôt fermes dans ces dossiers. » Un acteur de la fiducie se prépare d’ailleurs à une hausse d’activité dans les mois à venir avec les sujets de PGE qui ont été tirés et vont devoir être remboursés sur des durées d’amortissement relativement courtes. D’autant plus dans un contexte où la montée des taux rend l’argent plus cher - avec un Euribor à 3 % - et où les marges sont rognées par les hausses des coûts des matières premières, de l’énergie et de l’inflation. Certains secteurs font déjà les frais de cet environnement comme Cotélac, Les Nouvelles Menuiseries Grégoire ou Inca. Le marché du leveraged loan doit-il se préparer à une tempête de restructuring ? Rien n’est moins sûr puisque malgré ces signaux d’alerte, de nombreux voyants sont encore au vert.
413 Md$ de dry powder à mi-2022
L’agence de notation InBonis Rating, spécialisée sur les PME et ETI non cotées affichant entre 10 et 300 M€ de chiffre d’affaires apporte des données rassurantes dans son observatoire d’octobre 2022. La notation moyenne de crédit des entreprises analysées est BB-, supérieure à la moyenne nationale, avec un endettement faible de 2,6 fois l’Ebitda en moyenne. « Nous ne constatons pas de dégradation sur les dernières notations, relève Alberto Sanchez Navalpotro, directeur général et cofondateur d’InBonis Rating. Elles sont 55 % à parvenir à récolter un financement dans les six mois après l'obtention de leur notation de crédit, et face au besoin de recapitalisation des PME européennes, ces dernières peuvent s’appuyer sur le dispositif du Prêts Participatifs Relance et Obligations Relance », rappelle-t-il. Si les banques vont être mise à contribution via le premier des deux dispositifs européens, les acteurs de la private debt pourraient aussi jouer des coudes. « Il ne devrait pas y avoir de stop-and-go comme après la crise des subprimes, rassure d’emblée un agent de placement dans les couloirs du salon cannois. Les LPs vont globalement maintenir leur niveau d’engagement vers le private capital cette année, mais il pourra y avoir des ajustements entre les différentes classes d’actifs de l’industrie. Et c’est le secondaire et la private debt qui ont été placés en tête de la liste des vœux. » La hausse des taux directeurs permet en effet à la dette privée de gagner naturellement un ou deux points de TRI, forcément appréciable pour les LPs. De quoi augmenter encore un peu la pression du côté des investissements dans un marché relativement atone, alors que les fonds de private debt cumulaient 413 Md$ de dry powder à l’échelle mondiale mi-2022, selon Preqin. Mais là encore, rien qui pousse les gérant à enfiler leur gilet de sauvetage. « On s’attend à un marché calme durant les premiers mois de l’année sur le mid et le large cap, mais il devrait se rouvrir au deuxième trimestre », prophétise un banquier d’affaires de la Place. Sans boule de cristal, seul l’avenir révèlera vers quoi se dirige aujourd’hui le marché du leveraged loan.