La financiarisation des groupes d’imagerie médicale connaît un nouveau rebondissement majeur. Ce marché avait connu un très vif appétit des fonds, principalement concentré entre début 2022 et fin 2023. Une dizaine de plateformes de consolidation ont été mises sur pied durant ces 24 mois, comme Simago, Résonance Imagerie, Imaneo ou encore Imapôle. Ce dernier acteur, qui avait accueilli Eurazeo (via le fonds Nov Santé) et Bpifrance à son capital, avait marqué – involontairement – la fin de cette frénésie. Cet acteur lyonnais avait été l’objet d’une radiation disciplinaire de l’ordre départemental des médecins du Rhône, fin 2023, comme nous le révélions alors. La décision – qui implique la fin des remboursements des actes et la perte potentielle des autorisations d’exploitation d’équipements d’imagerie - avait été attaquée par Imapôle et ses actionnaires. Ils avaient finalement obtenu gain de cause, début janvier devant le Conseil d’État, qui pointait alors des vices de procédure. Mais cette décision marquait seulement la fin du premier acte de cette opposition sur l’interprétation du cadre légal visant à assurer un contrôle effectif des cabinets de radiologie par les radiologues.
Deuxième acte et fin de l’acte III
Le Conseil départemental du Rhône a notifié début mars une radiation sous condition d’Imapôle qui devait avoir effet le 15 juin. Il était alors notamment demandé aux actionnaires du groupe d’imagerie médicale de modifier les mécanismes de distribution des dividendes prioritaires pour les investisseurs et de transmettre des documents additionnels. Cette séquence a alors entraîné quelques évolutions pour le groupe fondé et dirigé par le docteur Reza Etessami en lien avec les demandes de l’Ordre. Alors qu’une audience était prévue la veille de la radiation théorique, le conseil départemental a alors annoncé qu’elle n’allait finalement pas prononcer celle-ci. Mais le rideau ne tombe pas pour autant. L’acte trois s’ouvre le 5 juillet avec de nouvelles incriminations et une séance entre l’ordre et les actionnaires d’Imapôle tenue fin juillet. « A la suite de la séance du 23 juillet 2024 devant le Conseil départemental du Rhône de l’ordre des médecins, Imapôle a reçu une décision de radiation à effet du 13 septembre 2024, introduit Gilles Bigot, associé de Winston & Strawn, conseil d'Imapôle. Nous avons alors saisi en urgence, en pleine période estivale, le Conseil d’État d’une requête en référé-suspension et plaidé le 6 septembre pendant presque trois heures. La dizaine de griefs a été analysée méticuleusement par la Présidente, qui a rendu sa décision le 12 septembre dernier, en donnant raison à Imapôle sur l’ensemble des innombrables griefs qui lui étaient à tort reprochés. »
Suspension de la radiation
Ainsi la juge Anne Egerszegi a prononcé les décisions ordonnant la suspension de la radiation du tableau des médecins et le rejet des conclusions présentées par le conseil départemental. « C’est un immense soulagement pour Imapôle, ses médecins associés et ses collaborateurs, appuie Julie Vern Cesano-Gouffrant, associée chez Winston & Strawn. Le montage (répartition du capital, gouvernance…) et la documentation statutaire et extra-statutaire, tels qu'ils sont structurés aujourd’hui et dans le cadre légal actuel de l’ordonnance du 8 février 2023 (qui vient de se substituer à la loi du 31 décembre 1990), sont donc validés par cette décision du Conseil d’État. Le juge des référés a bien pris le temps de détailler son verdict sur le fond (alors qu’il aurait parfaitement pu se limiter à traiter les moyens de forme) et cette jurisprudence apporte un cadre structurant pour les investissements dans ce secteur. » Dans son compte rendu, la juge explique sa sentence. Sont ainsi évoqués de nombreux points qui peuvent causer des frictions entre les investisseurs et les différents ordres des médecins comme les dividendes prioritaires. Le jugement précise : la répartition inégalitaire des bénéfices n’est pas de nature à constituer une méconnaissance aux règles d’exercice de la profession. Cette décision du Conseil d’État semble barrer toute nouvelle tentative de radiation de l’Ordre des médecins d’Imapôle. C’est tout un secteur qui sort du brouillard, car ce dossier était scruté, tant par les groupes financiarisés que par les autres ordres. Il avait jeté un froid, avec moins de transactions. L’une des rares annoncées début 2024, l’entrée d’Antin au capital d’Excellence Imagerie, avait même finalement été abandonnée durant l’été face à un environnement toujours pas apaisé et une absence de cadre de référence.
Un marché du M&A dégrippé ?
Gilles Bigot estime que « cette décision très attendue a une grande visibilité et un impact national. Elle (r)ouvre la voie aux investisseurs qui souhaitent participer au renforcement et à la consolidation du secteur, en respectant le cadre légal. Il y a, très probablement, des groupes qui vont devoir se référer à cette décision du Conseil d’État et à l’exemple fourni par Imapôle afin de se mettre en conformité. Cela signifie des montages transparents, avec un capital et des droits de vote effectivement contrôlés a minima à 75 % par les médecins. Pour les investisseurs, la mise en place d’une gouvernance comprenant des associés minoritaires et des droits de veto encadrés avec, le cas échéant, des droits économiques renforcés. » Si Imapôle peut respirer, toutes les plateformes du secteur appuyées par des fonds ne sont pas assurées d’éviter une radiation pour autant. Bien que le montage du réseau lyonnais soit validé, les ordres des médecins pourront tenter de dénoncer les opérations s’en éloignant. « Nous prônons systématiquement des échanges constructifs et non dogmatiques avec les Ordres professionnels, légitimes garants de l’indépendance d’exercice des praticiens. Ainsi, nous avons fait évoluer statuts et pactes et notifié systématiquement tout ce qui doit l’être au sens du code de la santé publique, et même davantage en l’espèce. Le cadre peut être contraignant pour des fonds de culture très majoritaire, mais la santé est un secteur extrêmement régulé. Il ne s’est jamais agi d’entraver le contrôle des médecins sur les décisions médicales, et encore moins de limiter la pratique de certains actes qui seraient moins « rentables » par exemple. C’est tout l’inverse, l’impératif est de maintenir et d’améliorer l’offre de soins et sa couverture », affirme Julie Vern Cesano-Gouffrant..