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Décret anti OPA : quand l’État devient banquier d’affaires


| 798 mots

Alors que l’État aurait pu se contenter de contraindre Alstom et General Electric à s’entendre sur le périmètre de leur opération, il s’est servi du dispositif anti-OPA modifié par le décret du 14 mai comme d’un puissant levier pour s’inviter au tour de table.

Des manufactures d’armes à la moitié du Cac 40

En élargissant la liste des secteurs visés par le dispositif d’autorisation des investissements étrangers aux activités essentielles en matière de sécurité publique, d’ordre public et de défense nationale liées à l’énergie, aux transports, à l’eau, aux communications électroniques et la santé publique, ainsi qu’à toute installation d’importance vitale, le Gouvernement a adapté la sanctuarisation de sa sécurité nationale aux technologies et enjeux du monde actuel. Très loin des anciens poudres et canons, il a ce faisant inclus la moitié du CAC 40 et les deux tiers du SBF 120 dans son champ de contrôle.

Du simple guichet à la table des négociations

De la déclaration sur papier libre au silence de l’administration valant approbation dans les deux mois, le dispositif de contrôle des investissements a toujours arboré une figure libérale, faisant du blocage de l’investissement une exception. En réalité, une tendance de fond est à l’œuvre : celle de s’inviter au tour de table de l’opération. Avec le décret de 2005, l’État avait tout d’abord instauré un droit d’autorisation sous condition qui lui permettait de poser ses désidérata sur l’opération projetée. Il a ensuite précisé ce régime avec le décret du 14 mai prévoyant le droit d’exiger la cession d’activités qu’il juge essentielles à la préservation de la sécurité nationale à une entreprise tiers. Autant de pouvoirs supplémentaires qui visent en réalité à inciter fortement l’investisseur à informer, voire à associer l’État, sous peine de contraintes, le plus en amont possible du projet d’investissement.

Du partenariat à l’actionnariat

Cette association au projet d’investissement répondait à une logique de partenariat entre l’État et l’investisseur dans un but d’intelligence économique. Comme aux États-Unis, le dispositif anti-OPA permet en effet une formidable remontée d’informations sur les opérations à venir dans les secteurs sensibles.
Toutefois, l’accord du 21 juin 2014 entre Alstom et General Electric montre que le Gouvernement se sert de ce levier pour déployer une logique d’actionnariat. Avec l’option d’achat, le prêt de droit de votes et la nomination de deux administrateurs consentie par Bouygues, cet accord fait de l’État le premier actionnaire du nouveau groupe en voix, avant même l’acquisition des actions correspondantes.
Cette décision est révélatrice de la manière dont l’État se sert en réalité de son précieux sésame. Au lieu d’utiliser le dispositif pour sanctuariser des activités essentielles dans des sociétés annexes sans que cela ne lui coûte rien, il se sert de son pouvoir de contrainte pour rentrer au capital de l’opération moyennant une option d’achat sur un actionnaire sortant.
Si le décret prévoit expressément la faculté pour l’État d’exclure certaines activités stratégiques du périmètre d’une opération, il ne prévoit en revanche pas le droit de s’inviter au capital pour atteindre cet objectif.
Le Code Monétaire et Financier modifié par le décret du 14 mai dispose comme règle générale que les conditions posées par le Ministre de l’Économie respectent un principe de proportionnalité. Or, rien ne démontre en l’occurrence que l’entrée de l’État était indispensable à la préservation de notre sécurité nationale.

De l’État protecteur au banquier d’affaires

Ainsi, en voulant stabiliser le capital de l’entreprise et l’accompagner durablement dans la conduite de son alliance avec General Electric, l’État est passé de garant de la sécurité nationale à banquier d’affaires. Pour preuve l’opération consistant dans la vente d’une partie de ses parts dans GDF Suez pour financer l’acquisition du nouvel Alstom. Cet arbitrage démontre que pour l’État l’arsenal anti OPA se conçoit au-delà du juridique comme un outil tout autant politique que financier. N’en déplaise à tous les acteurs, c’est désormais son droit souverain.

Pascal Dupeyrat, Lobbyiste, cabinet RELIANS

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