Nous ne sommes pas à Chinon, mais il est rabelaisien. Nous sommes à Madiran et notre Gargantua s’appelle Alain Brumont. Ce personnage tout en démesure est la figure de Madiran, il a réveillé le vignoble à lui tout seul, donné ses lettres de noblesses à un vin qui était dur au palais et âpre de goût. Trop paysan et pas assez aérien. Un vin qui ne correspondait pas à la douceur des paysages vallonnés du Gers. Alain Brumont a vécu des rêves de grandeur, construit des chimères, fait faillite, s’est relevé mais il a toujours tenu très haut ses deux domaines phares : Montus et Bouscassé.
Jazz et Madiran
C’est à quelques kilomètres de là, à Termes d’Armagnac, à l’ombre d’une tour médiévale que j’aime à venir me reposer dans cette maison du bonheur que sont les chambres d’hôtes de Pesquès. Vin de Madiran à droite, jazz in Marciac à gauche. La piscine et le jardin au milieu. Le mois d’août est délicieux. On y parle foie gras, mais on se tait pour un Armagnac 1974.
Dans cette maison pleine de passage, la piscine est le centre. Nous nous y prélassions quand le téléphone a sonné. « Bettane et Dessauve viennent de faire une dégustation au domaine. Il reste des bouteilles, cela vous intéresse ? » Bettane et Desseauve, les anciennes icônes de la revue des vins de France, les nouveaux compères de Robert Parker. Tous les amateurs de vins leur doivent beaucoup. Goûter aux vins qu’ils viennent de déguster est un honneur.
En maillot de bain, en tong, je me précipite au domaine pour y trouver plus d’une douzaine de bouteilles à peine entamées. Des Bouscassé des Montus en pagaille, des verticales de Pacherenc de Vic bilh sec. Oubliez les Jurançons fatigués (exception faite du fabuleux jurançon sec du domaine Cauhapé). Les Pacherenc sont les seuls vins qui savent accompagner le foie gras en lui donnant de la vigueur, en gommant le gras dans un bouquet de fruits secs, de résine et de cédrat, ce citron à l’ancienne. Frais, il a enchanté une après midi écrasée de chaleur. Nous avons aussitôt appelé tous les amis aux alentours et réservés les rouges Bouscassé Vieilles Vignes et Montus qui n’attendaient que le soir pour s’exprimer.
Le trésor de la Tyre
Un détour à Marciac, un jazz que j’écoute d’une oreille distraite et l’impatience du retour. La nuit tombée, les amis rassemblés et la table dressée. Là, le Montus peut entrer en scène. Tous le connaissent. Tous aiment partager ce nectar au nez d’humus, à la robe incroyablement foncée due au cépage tannat. En bouche, les tanins se font velours, l’équilibre grandi le vin, le maintient longtemps, imprègne les mémoires de ses notes de cacao. Abondance de vins, de pain, de fruits et de charcuterie. Mais dans la caisse, restait encore un trésor : deux bouteilles de la cuvée prestigieuse La Tyre, une petite parcelle du domaine. C’est un Montus en superlatif. Il est autour de minuit, Round Midnight soufflerait Dale Turner. Il faut un lieu pour honorer la Tyre. C’est dans la piscine à peine éclairée, un grand verre de ce vin noir à la main, que nous le dégustons. Si jamais je goute à nouveau cette cuvée, même dans de nombreuses années, la fraîcheur de la piscine et la chaleur de la Tyre seront indissolublement liées dans ma mémoire.
Pacherenc de Vic-Bilh sec Montus : 13 euros
Château Bouscassé vieilles vignes : 18 euros
Château Montus : 15 euros
Cuvée la Tyre : 80 euros