Marcher à n’en plus pouvoir. Au bout du chemin de crête du somptueux massif des Alberts, les Pyrénées plongent dans la Méditerranée. Un véritable saut de l’ange : 1000 mètres de dénivelés en équilibre sur la frontière franco-espagnole. Tous les marcheurs le savent, la descente est beaucoup plus pénible que la montée. Mais à mi parcours, apparaissent les premières vignes de Banyuls. Des pieds de grenache plantés en escalier dévalent la pente. Un travail de titan réalisé par des générations de vignerons durs à la tâche. Il faut avoir peiné, il faut avoir souffert dans les vignes de Banyuls pour comprendre le vin d’ici. C’est la première fois que moi aussi je comprends qu’une dégustation se fait d’abord avec les pieds. Arrivé au terme de la randonnée, s’attabler à une terrasse du front de mer pour contempler la Méditerranée. Puis dériver lentement dans les rues de Banyuls pour atteindre le domaine de la Rectorie.
Une lente macération
Une belle maison de centre ville tout en hauteur. Tout y indique le repaire d’une famille peu commune. Thérèse Parcé, veuve et femme de caractère y a régné pendant un demi siècle. C’est au nom de la famille que les frères Parcé, Marc, Thierry et Pierre, quadras parisiens de souche, sont revenus au domaine en 1984. La maison de famille est ouverte à tous, elle appelle à la dégustation. Aujourd’hui, c’est Pierre, qui reçoit. Photographe-vigneron, c’est à lui que l’on doit les élégantes et surprenantes étiquettes des vins de la Rectorie et de la Préceptorie, l’autre domaine de la famille situé à Maury monté en association avec Vincent Legrand, rejeton des caves Legrand à Paris. Avec les frères Parcé, c’est la profusion, des vins secs avec des blancs aériens, des rosés coquins, des rouges profonds, aussi leurs célèbres vins mutés, voire de rares rancios. L’après midi y suffira à peine, mais l’on sait la pièce plus fraîche que les rues accablées de soleil. Ce soleil est l’allié de Banyuls. Dans la colline il fait murir le raisin, dans les hangars de la ville, il favorise la lente macération du Banyuls exposé dans ses bonbonnes de verre.
Côté mer ou côté montagne?
Commençons par les vins secs qui prennent l’appellation Collioure. Le blanc Argile a la chaleur d’un grenache gris. Son volume est impressionnant. Sa cousine La Coume Marie de la Préceptorie toujours majoritairement grenache amène une petite pointe de macabeu. Entre les deux, c’est le vent qui départage. Il souffle sur la méditerranée mais se fait rare à Maury au pied des châteaux Cathares - le vent iode davantage l’argile. Mais, c’est pourtant de Maury que vient la petite touche de fraicheur avec une cuvée Zoe qui fait aimer le vin de pays. On passe au rouge sec. A Banyuls il faudra choisir son camp. Coté mer ou coté montagne. Dans les deux cas, c’est le grenache qui domine associé au carignan et à la syrah. L’élevage est aussi long, en foudre pour le premier en barrique pour le second, 18 mois pour les deux. Choisissez. J’opte personnellement pour coté Montagne.
Pour les grands seulement...
La partie sérieuse peut enfin commencer. Le vin muté, le Banyuls, celui que nos grands parents associaient systématiquement au dessert au chocolat. Pourquoi renier ses grands parents ? C’est effectivement, un vin dont les tanins s’accordent merveilleusement à ceux du cacao. Mais on peut aussi prendre un accent anglais et déguster du Banyuls sur un fromage à pâte persillée. Le Banyuls tient la dragée haute à n’importe quel Porto. Je laisse Pierre Parcé expliquer la mutation sur grain et l’ajout de mou pour stopper la fermentation. Pour ma part je redécouvre la puissance, la modernité d’un Banyuls et me promets de l’inviter désormais à ma table. Si la conversation s’anime, si le temps s’arrête, alors le maître des lieux propose d’aller plus loin. Il sort un rancio blanc Fleur de Pierre. Un vin pour les grands. Ceux qui prennent un plaisir rare à boire un vin oxydé, un de ceux qu’on jette dans l’évier parce qu’il a mal tourné et qu’il est voilé. Ses arômes sont étranges, l’iode, la tourbe, le médicament mais aussi la pâte de coing. Le degré d’alcool est élevé. Pour les grands seulement!
Collioure Blanc l’Argile 20 euros
Collioure Rouge Coté montagne 20 euros
Banyuls le muté sur grain 15 euros
Banyuls Fleur de Pierre 14,50 euros