« Le regard inverse au pendage ». Des années après, je me souviens toujours de cette maxime de mon vieux professeur de géographie, un peu monomaniaque, qui passait ses vacances à photographier des paysages et des reliefs. Ses cours ressemblaient à de longues séances de diapositives, souvent ennuyeuses. Mais son visage s’éclairait devant une belle cuesta, ce relief dissymétrique constitué d’un talus s’effondrant sur une pente raide. Quelque fois même on apercevait sa femme, dans un coin de la photo. Cela ravissait les jeunes lycéens moqueurs que nous étions.
Une belle cuesta
Dès que je vois une Cuesta, je pense toujours à ce vieux professeur et à sa triste épouse. L’une des plus belles, l’une des plus majestueuses cuesta que je connaisse ( photo ci-contre ) domine le vignoble de Pic Saint-Loup, posée en pleine garrigue au nord de Montpellier. Un paysage splendide, fait de calcaire et de petits arbustes. Pic Saint-Loup, quel beau nom ! Il évoque pêle-mêle le grand humaniste et philosophe de la renaissance Pic de la Mirandole, la grande peur ancestrale du loup, et la conversion au christianisme des hauts lieux païens - une étape sur les chemins qui mènent à Saint-Guilhem du désert. Les néandertaliens trouvaient refuge dans les grottes de l’Hortus. A défaut de confort, quelle belle vue ils avaient nos ancêtres ! Et au pied de cette montagne sacrée, un vignoble sauvage et puissant a été gagné sur la garrigue.
Un bar en bois...
Dans ce paysage de bout du monde, au bout de la route départementale, se trouve le domaine de l’Hortus. La
famille Orliac a défriché la garrigue plantant les grands cépages du Languedoc : syrah, mourvèdre et grenache.
Il faut voir la cave de l’Hortus : au pied de la montagne, un vaste bâtiment en bois sombre, avec des toits avec deux pentes inverses qui répliquent cette fameuse cuesta. C’est une véritable ferme du Far West, une gare désaffectée dans un film d’Ennio Morricone. A l’intérieur, la fraicheur est préservée, le bois imprègne l’ensemble d’une douce odeur.
Sous la lumière des lampes industrielles un alignement de barriques pour élever le vin, et un bar en bois. Je m’y accoude. On commence la dégustation par le blanc du domaine de l’Hortus. Le Chardonnay y est associé au viognier et à la roussane, pour donner un vin bien charpenté de grande ampleur. J’aime le blanc, je le trouve à mon goût. Fatigués par une grande promenade autour du Pic Saint-Loup, mes enfants adorent cet endroit impressionnant pour des petits citadins. Je ne vais pas abuser de leur patience et passe directement au rouge qui m’a conduit à faire ce grand détour sur la route de mes vacances. Je le connais, comme tout amateur de grands vins du Languedoc. Il est l’expression même de ce vignoble, au même titre que le Mas Bruguière voisin.
un refuge bricolé
Le domaine de l’Hortus rouge est un vin puissant déclinant à merveille toutes les subtilités du poivre et la fraîcheur de l’eucalyptus. Un vin de grande garde qui peut offrir différentes expressions. J’ai récemment ouvert un flacon d’une dizaine d’années, plus suave qu’une soirée d’été.
Mais c’est un peu plus haut sur la rivière de l’Hérault, à saint Bauzille du Putois, que l’on trouve un lieu unique de convivialité pour déguster les vins du Pic Saint-Loup. L’auberge de la Filature est un refuge bricolé dans la friche industrielle d’une ancienne filature pour bas de soie et de nylon. Savoir que les jambes des plus jolies femmes étaient encore, dans un passé récent, gainées de bas venant de cette filature cévenole réjouissait notre bande d’amis. Dans le vaste jardin un peu sauvage des tables de bistrot et une cuisine de même inspiration. Lampions, bougies, bas de soie et vin poivrés : une belle soirée d’été.
Voir le site web du Domaine de l'Hortus
- Domaine de l'Hortus Blanc : environ 15 euros
- Domaine de l'Hortus Rouge : environ 18 euros
Retrouvez toutes le chroniques "le vin de la semaine" sur CFnews (en accès libre)