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Le vin de la semaine : Château de l’Engarran Cuvée Saint Georges, l’élégance du XVIIIème siècle


| 857 mots

C’était une époque où il y avait encore des négociants à Bercy. L’un d’entre eux tenait aussi une boutique rue Ramey derrière la butte Montmartre. Sa boutique était ouverte jusque très tard le soir à la manière des petits commerces arabes de proximité. La télévision y était allumée en permanence et c’était un plaisir de venir passer une soirée avec lui et toute sa famille. C’était un caviste du genre ancien, très loin des modernes qui ouvrent de caves design à chaque coin de rue des quartiers bobos de la capitale. Les vins naturels, les vins de copains n’envahissaient pas encore les comptoirs faussement industriels.

Le soleil qui fait cuire le pruneau

Dans sa boutique, on trouvait ses fins de stocks. Il y avait toujours un Pichon Longueville Baron ou un château Talbot abordable. Il ouvrait souvent des petites bouteilles pour les gens du quartier qui lui rendaient visite. Je me souviens d’un Fitou aux vignes centenaires. Un jour que je venais lui acheter une bouteille pour un diner improvisé, il m’a proposé un coteau du Languedoc à la belle étiquette orange. Je ne savais pas que la cuvée Sainte Cécile n’était que l’entrée de gamme du château Engarran. Mais comme entrée, elle était plutôt accueillante ! Avec un fruit très présent et une belle profondeur. Le lendemain, je reviens pour commenter sa trouvaille et le caviste me propose de monter en gamme avec la cuvée Tradition du château de l’Engarran. Un véritable délice. Assemblage des cépages traditionnels du Languedoc Grenache et Carignan relevé de Syrah. Sans connaitre encore ce château, la cuvée tradition m’en donnait la plus belle des cartes postales. La garrigue avec ses arômes de thym, de laurier. Le soleil qui fait cuire le pruneau. J’en ai longtemps eu dans ma cave et sur ma table avant de visiter le domaine.

Le chevalier de Saint Georges

Une année en vacances du côté de Montpellier je me promettais de visiter le domaine. Il faut être du coin pour naviguer autour de Montpellier. Je ne sais pas pourquoi, je me suis toujours perdu en sortant de cette ville. Assez peu patient en voiture, j’avais mes enfants qui l’étaient moins encore après des heures de trajets. Mais arrivés à bon port, tout le stress a disparu à la seule vue de cette exceptionnelle demeure. L’une des dernières belles « folies » du XVIIIème siècle. Les grandes familles patriciennes de Montpellier savaient rivaliser d’élégance avec la noblesse parisienne qui, elle aussi, cachait ses menus plaisirs à l’abris des « folies » des faubourgs. Ces maisons qui abritaient des soupers fins, des belles marquises et des Valmont poudrés étaient des hymnes à la beauté.

Des vins côté féminin

Le château de l’Engarran est incontestablement de celles-ci. Le siècle n’étant plus au libertinage, c’est la vigne que l’on cultive à Engarran. Et de fort belle manière. Ne sachant rien des propriétaires je découvre que le château est tenu par la famille Grill représentée par deux femmes énergiques : Constance et Diane. Tous les articles consacrés à ce domaine insistent souvent sur le côté féminin des vins. C’est vrai. Leurs vins sont des exemples de bonnes manières, de douceur, les tanins sont travaillés pour être veloutés. Une fois sur place j’ai découvert la grande cuvée Quetton Saint-Georges. Un nom pareil ne s’oublie pas. Il fait penser au chevalier de Saint Georges qui fut l’un des personnages les plus hauts en couleur de cette fin du XVIII siècle et de la Révolution naissante. Métis reconnu et fièrement introduit à Versailles par son père aristocrate de haut rang, le chevalier de Saint-Georges fut l’un des plus grands compositeurs de la fin du siècle des lumières. Il fut aussi l’un des plus redoutables bretteurs de la cour et se battit même en duel à Londres avec le fameux chevalier d'Eon habillé en femme. Homme de confiance du Duc d’Orléans, le chevalier de Saint Georges était familier du Palais Royal, haut lieu de jeu, de ribauderie et de philosophie. La Révolution Française est née de l’effet du café sur les esprits échauffés des parisiens, a soutenu Jules Michelet. La cuvée Quetton Saint Georges du château de L’Engarran a tout du chevalier éponyme. Elle est brillante et métissée avec ses aromes de cacao. Très majoritairement sur la Syrah, elle sait parfaitement croiser le fer, tout en restant parfaitement cultivée. La noblesse, l’aisance, l’ambiguïté des sentiments. C’est un vin à boire en relisant les Liaisons Dangereuses.

Voir le site du Château de l'Engarran

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