Il n’est jamais très agréable de faire les gros titres. J’ai suivi dans la presse le scandale qui a éclaboussé le château Giscours en 1998 : mélange de cuves, de millésimes, excès de copeaux, je découvrais des pratiques peu reluisantes. Quelques mois plus tard, je demandais conseils à mon caviste sur les vins à commander en primeur. Installé rue Simart dans le 18 ème arrondissement, Jean-Luc Tucoulat m’a fait découvrir de merveilleux Nuit Saint Georges en Bourgogne, le Vieux Télégraphe en Châteauneuf du Pape et m’avait réservé quelques unes des premières bouteilles de Sotanum, ce vin de Vienne ressuscité par les trois magiciens Pierre Gaillard, Yves Cuilleron, et François Villard. Il avait toute ma confiance.
Vrai primeur
« Ecoute » m’a-t-il dit. « Cette année, il faut absolument prendre du Château Giscours. Le millésime est beau et la nouvelle équipe a confectionné une merveille. Ils ont tant de choses à se faire pardonner ». 1998 est le seul millésime que j’ai jamais commandé en primeur car c’est l’année de naissance de ma fille. A part cette année exceptionnelle, je n’ai jamais souscrit à ces fausses bonnes affaires dont le seul intérêt est d’avancer de la trésorerie à la place de Bordeaux. A cette époque déjà lointaine, les grands crus de bordeaux étaient encore abordables. Sans gros moyens, j’achetais régulièrement des Calon-Ségur, des Léoville Barton ou des Pichon Longueville Baron. Point la peine de les réserver en primeur. Aujourd’hui, ces bouteilles ont atteint des prix indécents et les acheter en primeur revient à spéculer sur le fait qu’elles vont encore augmenter. Cela ne fait qu’alimenter la spirale inflationniste, ce à quoi je me refuse.
Des visages divers
Revenons au Château Giscours 1998. Les bouteilles ont longtemps dormi dans ma cave. Comme tous les pères amoureux de leur fille, je pensais lui faire plaisir en remontant solennellement une bouteille pour les grandes occasions. Bien entendu, cette histoire de bouteille n’a jamais intéressé ma fille. Elle percevait seulement que cela me ravissait. D’année en année, le château Giscours offrait divers visages. Toutefois, ce margaux qui hisse haut le cabernet sauvignon, cultivait toujours son côté épicé et offrait un fruit généreux. Le millésime 1998 est concentré, plus que la plupart des autres Margaux. J’ai souvent comparé avec des Prieuré Lichine du même millésime. Charmants mais relativement légers. Pendant des années j’ai régulièrement goûté le 1998. Un plaisir qui s’est brusquement interrompu par le vol de l’intégralité des bouteilles de ma cave. A la Toussaint l’année dernière, j’ai passé une nuit dans les très belles chambres d’hôte du domaine Giscours. Nous nous sommes promenés, ma fille et moi, dans les vignes juste devant nos fenêtres. Elles étaient encore chargées des grappes non récoltées. Nous avons effectué la visite du chai. Pour la première fois, ma fille a compris ce que ce château accolé à sa naissance, pouvait signifier pour moi. Avant de partir, j’ai donc acheté une nouvelle bouteille de 1998. La seule que nous dégusterons tous les deux. Pourvu qu’elle tienne la distance.
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