Les câblo-opérateurs américains viennent de faire capoter les négociations engagées par Apple pour lancer son propre service de télévision : l’”AppleTV”. Car la menace est réelle : créateur de ruptures, Apple veut se lancer sur ce marché actuellement très fragmenté et hétérogène. Car la firme américaine - qui garde jalousement le secret sur ses intentions réelles - semble vouloir jouer plusieurs cartes en même temps.
Quatrième "brique"
Première révolution, celle du matériel. Seul constructeur informatique à maîtriser l’ensemble du matériel et du logiciel sur sa gamme de produits, Apple a su imposer sur la planète entière une gamme d’appareils fixes et mobiles à la fois propriétaires et permettant entre eux un partage “sans couture” de ses fichiers, images, musique et vidéo. En témoignent la généralisation à travers la gamme d’ordinateurs, de tablettes et de téléphones d’Apple des écrans “retina”, de la technologie de diffusion AirPlay, et de la convergence des systèmes d’exploitation iOS et MacOS.
Le lancement d’un téléviseur Apple montrera certainement le savoir-faire de la firme en matière de design et d’interface utilisateur, mais, plus important, rajoutera surtout une quatrième brique à la gamme d’appareils fixes et mobiles, cette fois au coeur de nos living-rooms et accessible “sans couture” depuis les iPhones et iPads des occupants de la maison - voire des ordinateurs Mac ou PC équipés du logiciel iTunes. Ce qui sonne le glas du bon vieux récepteur TV passif : désormais, la maisonnée Apple pourra utiliser son iPhone comme télécommande pour changer de chaîne, poster en direct sur les réseaux sociaux ses commentaires depuis son iPad pendant la diffusion du match de foot, regarder une autre chaîne en incrustation sur son portable, ou diffuser sur le téléviseur la musique contenue dans son PC tout en la partageant sur l’application Shazam. En clair, l’AppleTV rentrera dans nos foyers car l’iPhone et l’iPad y sont déjà entrés.
Une TV dynamique et transversale
Mais le matériel, aussi soigné et communiquant soit-il, n’est rien sans les contenus. Apple doit-il intégrer verticalement des studios de cinéma ou de télévision, à l’instar de Sony? Aller faire son marché à Cannes ou au Mipcom comme les câblo-opérateurs? Cela, pour créer un “bouquet Apple”? Ce n’est ni ce que veulent les téléspectateurs, ni le sens des pourparlers engagés par Apple avec les fournisseurs ou diffuseurs de contenus.
Ce n’est pas le sens des consommateurs, car ceux-ci disposent déjà de bouquets via leurs “box” internet, ou ont déjà souscrit à des bouquets câble ou satellites. Ils sont déjà familiers des services - encore très hétérogènes - associés aux box, aux bouquets ou aux chaînes elles-mêmes via internet : VOD, “catch-up TV”, … (voir une précédente chronique).
Ce que prépare vraisemblablement Apple, c’est une “méta-télévision”, c’est à dire une sur-couche transversale permettant au téléspectateur de composer dynamiquement sa propre chaîne, en fonction de ses goûts, de ses horaires, de la composition de sa famille, des suggestions de ses amis … tout cela en allant piocher dans les différents services existants. C’est à dire qu’Apple pourrait ambitionner de créer un gigantesque réceptacle ou agrégateur des contenus diffusés verticalement par les chaînes généralistes ou les bouquets, et de les redistribuer de façon individualisée vers ses clients TV en les sélectionnant selon les préférences exprimées par ses derniers. En somme, une “méta-chaîne” individuelle.
Le champ des possibles est immense : chaque membre du foyer pourrait même disposer de sa propre chaîne sur son propre terminal TV, tablette ou ordinateur, et partager ses préférences sur les réseaux sociaux qui eux-mêmes serviront de base à de nouvelles méta-chaînes. Sans compter la remontée automatique des visionnages de chacun vers les propres serveurs d’Apple, avec en retour (comme la fonction "Genius" pour iTunes) des suggestions de plus en plus affinées. On a d'aillers appris incidemment ce début septembre qu'Apple avait engagé les même démarches auprès des "Majors" pour ouvrir un service de radio à la demande calquée sur les préférences individuelles des utilisateurs...
Pas étonnant que la résistance s’organise : les producteurs et les diffuseurs de contenus n’ont aucun intérêt, en l’état actuel des rapports de force entre acteurs, à ce que leurs contenus soient vendus à la pièce à un grossiste disposant d'un puissant écosystème fermé plutôt que d’être délivrés chaîne par chaîne à leurs abonnés, ni surtout à ce que leurs clients s’abonnent dorénavant… directement à Apple qui deviendra seul bénéficiaire de leurs données de facturation et de leur profil d'utilisation. Les épisodes à venir promettent d’être intéressants.
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