Deux mesures qui ont fait "pfuittt" : la neutralité du Net - pourtant à l'affiche du e-G8 - et les mesures gouvernementales sur les avertisseurs et le signalement des radars. Pourquoi? Car en plus d'être largement impopulaires, ces deux mesures sont inapplicables en l'état, pour des raisons similaires.
En effet, la neutralité du Net pose comme principe qu'il n'y a aucune discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau (
sur la route tout le monde peut rouler d'ou qu'il vienne, où qu'il aille et quelque soit sa cargaison). Tout le monde a ainsi accès de façon égalitaire aux applications et services distribués sur le réseau (
tout le monde utilise le même réseau routier).
Cette "neutralité" sur le Net assure que les flux d'information ne seront ni bloqués, ni ralentis, ni favorisés par les opérateurs télécom qui fournissent l'infrastructure de la Toile (
sur la route tout le monde est soumis au même Code).
Neutre et égalitaire
Si on va un peu plus loin, il faut distinguer sur le net le "hard" du "soft" : l'architecture physique (les tuyaux fournis par les opérateurs télécom, filaires ou wireless - ou les routes construites et entretenues par l'Etat) de l'architecture logique (les protocoles utilisés pour véhiculer les données tels que ip, tcp, http - ou sur la route, la signalisation, les différents types de véhicules autorisés).
C'est très important car si on comprend qu'en raison des capitaux à engager les aspects physiques sont relativement centralisés - voire cartellisés - , les aspects logiques sont restés "ouverts" sur le web, c'est à dire que par un même tuyau peut transiter des types très divers d'informations et tout un chacun proposer une palette infinie de services sans qu'aucune autorité centralisée n'impose réellement d'interdictions ou de privilèges sur l'utilisation de la bande passante, ou les services proposés.
Pour reprendre notre analogie, par les tuyaux du web circulent librement et sans discrimination emails, téléphone, vidéo, transactions financières, téléchargements, virus…et potentiellement tout un tas de trucs pas encore inventés - et sur la route circulent librement et sans discrimination vélos, camions, voitures, bientôt véhicules électriques… Sans que les opérateurs ne lisent ce qui transite, que ce soit légal ou non (tout comme on peut transporter ce qu'on veut dans le véhicule qu'on veut, et l'employé du péage ne regarde pas dans le coffre si il contient, par exemple, de la drogue ou des armes).
Liberté et responsabilité
Evidemment, et on y reviendra, il y a des limites à la liberté : si un internaute télécharge des contenus illégaux ( ou si il roule à 200 km/h en transportant de la drogue), des formes d'autorité publique se mettent progressivement en place pour faire la police (Hadopi ou ses équivalents à l'étranger bien sûr, ou la maréchaussée et les douanes, assistés des radars robotisés ou non).
Cette indépendance de la couche logique par rapport aux tuyaux physiques garantissait jusqu'ici aux utilisateurs une grande liberté tout en favorisant un écosystème accessible - et bénéfique - à tous ses utilisateurs ( en voiture, une liberté de déplacement qu'on avait évidemment pas il y a seulement cent ans et une énorme circulation des biens et services grâce au développement du réseau routier).
Et surtout, par construction, l'internaute est seul responsable de l'usage qu'il fait du Net, les opérateurs "n'exerçant pas de contrôle sur [...] toute donnée accessible au Client, stockés, échangés ou consultés par ce dernier ou transitant par le biais du Service et n'assume aucune responsabilité quant à leur contenu, nature ou caractéristiques" (extrait des CGU d'un opérateur). Tout comme au volant, les conducteurs sont seuls responsables de leur conduite. Liberté, et donc responsabilité des éventuelles conséquences de tout excès ou transgression : pénale, morale et… philosophique.
Offres "premium"
Mais les choses changent et, de simple fournisseurs de tuyaux, les opérateurs télécom veulent devenir les régulateurs de la couche logique. En effet certains usages consomment énormément de capacité (par exemple, les services de contenus vidéo comme YouTube, ou les téléchargements légaux ou non) et, pour que les infrastructures suivent, demandent de lourds investissements sous peine de dégradation des temps de latence ( un peu comme une zone industrielle mal desservie générera des embouteillages a mesure qu'elle se développe si de nouvelles dessertes ne sont pas construites).
La tentation est grande pour les grands opérateurs comme Orange, Verizon, AT&T… de réserver la bande passante aux clients qui paient plus cher, et de limiter le débit (et les temps de latence) pour les autres. Tout comme on a le choix, pour faire un trajet Paris-Lyon, de prendre l'A6 moyennant un péage et d'être raisonnablement certain de mettre 4h30, ou de prendre la N20, nettement plus aléatoire. Dit autrement, de proposer un service de base, voire d'instituer un droit d'accès fondamental mais basique, et d'y ajouter des offres "premium".
Réseau à plusieurs vitesses
Et cela va plus loin. Des protocoles de communication plus perfectionnés au niveau de la couche logique (ipV6) permettent aux switches, des équipements physiques situés aux noeuds du réseau, d'appliquer des "priorités" aux flux de trafic voire d'en décrypter le contenu (Deep Packet Inspection ou DPI). Tous les ingrédients sont réunis, le Net devient un réseau à plusieurs vitesses, et tout ce qui y transite peut être analysé.
Et enfin, avec la fameuse "convergence", les opérateurs deviennent aussi des fournisseurs de contenus (Vodafone, Orange) en proposant des services de streaming quels que Deezer (lire l'article CFnews ci-dessous), ou en achetant des droits de retransmission sportifs ou des catalogues de film pour alimenter des web-TV ou des services de vidéo à la demande. Pourquoi? Parce que les marges sont très supérieures, et que c'est très fidélisant. D'autant plus qu'avec la DPI, un opérateur peut très bien bloquer l'accès à des services concurrents ou menaçants - par exemple, interdire sur son réseau 3G de passer des appels VOiP comme Skype - ce qui était le cas jusque très récemment. Un peu comme si, pour emprunter tel ou tel troncon de route, il fallait obligatoirement avoir fait le plein chez Total, ou rouler en Toyota.
Un opérateur mal intentionné (ou un cartel d'opérateurs très gourmands) pourrait même manger aux deux râteliers : maintenir une pénurie savamment dosée de bande passante et la faire payer plus cher à une frange de clients, et obliger les services non affiliés de contenus gros consommateurs (comme YouTube) à lui verser une redevance pour permettre à ses propres abonnés d'accéder au service. Comme si il existait une voie réservée aux clients de Toyota ou Total pour éviter les embouteillages...
Cela dit, le "paquet télécom" de directives européennes, et les promesses de campagne de Barack Obama ont promis-juré de préserver la neutralité du Net. Mais la FCC et l'ARCEP, dont les compétences sont remises en cause ou malmenées, restent peu prolixes sur le sujet - et le e-G8, malgré un programme tonitruant, a accouché d'une souris : on peine à voir instituer une véritable garantie juridique ou constitutionnelle de cette neutralité. C'est que les intérêts financiers sont énormes, et grâce à l'informatique, les possibilités de contrôles aussi.
Pas vu, pas pris
En tous cas les contrôles se durcissent car jusqu'ici, il était surtout "défendu de se faire prendre" à télécharger des films, de la musique, ou des logiciels en peer-to-peer,
ou bien en excès de vitesse. Les gendarmes de la toile ou de la route, en nombre insuffisant par rapport à la masse du trafic, se font désormais assister par des robots (les logiciels d'analyse du trafic, ou les boîtiers radars fixes), qui de plus se sous-traitent (les logiciels utilisés par H2DS ou TMG). Soulignons au passage, sans les développer ici, les nouveaux dangers de ces contrôles automatisés sur la vie privée, le législateur ayant souvent un train de retard, ou peinant à résoudre les contradictions...
Sans entrer dans un débat sur leur bien-fondé, les reculades récentes du gouvernement sur l'Hadopi et sur le signalement des radars routiers et des avertisseurs montrent bien pourquoi ces mesures, telles qu'elles sont actuellement conçues, sont inefficaces :
- La combinaison technologie + communautés d'utilisateurs a toujours un coup d'avance sur la législation : on échappe complètement à l'Hadopi en utilisant un VPN… et même si la carte des radars fixes n'est plus publiée, une communautée d'utilisateurs peut très vite la reconstituer et la mettre à disposition du monde entier sur le web, tout en se déclarant basée au Groënland… (voir ci-dessous les articles CFnews sur les deals Wikango et Coyote, qui proposent des avertisseurs basés sur la combinaison technologie / communauté).
- Les modalités de contrôle - et les sanctions - relèvent du législateur, et sont donc limitées aux frontières. Tant que les Etats ne se mettent pas d'accord, on peut difficilement depuis la France contraindre la fermeture d'un serveur en Europe de l'Est. Ou bien échapper aux amendes en roulant vite dans une voiture immatriculée en Belgique car personne n'est pressé de signer la convention nécessaire entre les deux pays.
- Cela introduit une asymétrie d'information : puisqu'il est défendu de se faire prendre, il y a ceux qui savent et qui continuent comme avant, et ceux qui ne savent pas (les "geeks" bien informés, ou le conducteur du coin qui est au courant d'un nouveau radar vs. l'automobiliste de passage qui lui, n'a pas l'information et se fait flasher).
- C'est impopulaire et, dans un monde connecté, le populisme se nourrira de l'aspect répressif, des communautés s'organisant pour la contourner, et du rejet des dangers connexes sur la vie privée.
Si l'homme est un "animal politique", c'est aussi maintenant et surtout un animal connecté, n'en déplaisent aux Léviathans - on voit bien dans l'actualité que le "visage hideux" qu'Hobbes prête à l'État pour qu'il dissuade ses sujets de désobéir ne fait plus peur aux dissidents...
Dans l'intervalle, bon surf et bonne route (mais, pas en même temps!)
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