La nouvelle génération des télés à écran plat embarque désormis la télé connectée ou "@TV". Connectée à Internet, évidemment, Tante Maraki ! Constructeurs, opérateurs, annonceurs, diffuseurs, éditeurs, tout le monde lorgne sur ce nouvel eldorado - qui peine pourtant à décoller. Pourquoi?
Constructeurs, opérateurs, annonceurs, diffuseurs, éditeurs… ils ne parlent que de l'arrivée de la @TV. Mais commencons par le début : et le consommateur, dans tout ca? J'ai essayé : une offre de services assez pauvre et difficile de naviguer avec sa télécommande, plus encore de taper une URL, un twitter... Nous y reviendrons.
La télé, nouvel ordinateur?
Le but annoncé est pourtant clair : intégrer dans la bonne vieille télé du salon la palette de services et de contenus multimédia jusqu'ici réservés à l'ordinateur : vidéo web (YouTube), Video on Demand (VoD), "Apps" (pour la météo, les fiches cuisine, les jeux…), surf sur le web, réseaux sociaux, bref, tout ce qui a généré ces dernières années une désaffection massive des jeunes générations de la télévision "linéaire" vers les modes de consommation de contenus connectés et/ou mobiles. Un but aligné avec la croissance du parc de téléviseurs connectés : l'arrivée des écrans plats entraîne un renouvellement massif des consommateurs encore équipés du bon vieux tube cathodique. On estime que plus de 40% des téléviseurs dans le monde seront connectés à internet en 2014 - soit parce qu'ils embarquent directement la technologie (interface web et système d'exploitation), soit parce qu'ils sont connectés à une box, une console de jeux, un décodeur numérique… qui intègre la technologie. Et en 2011, en France, 75% des boîtiers externes au téléviseur sont connectés, 54% des consoles de jeu le sont et déjà 39% des télévisions intègrent l'accès à internet.
Partenariats
Prenons exemple dans l'actualité récente : Logitech vient d'annoncer l'arrêt de son partenariat avec GoogleTV. GoogleTV version 1, c'était la première incursion du géant de Mountain View dans les contenus pour téléviseurs. Logique de la part du propriétaire de YouTube. Mais la télé, ce n'est pas le web et Google a, sur le plan stratégique 1) échoué à révolutionner la distribution de contenus aux Etats-Unis en suscitant la colère des distributeurs câble comme Comcast ou DirectTV ou internet comme NetFlix et 2) en se lançant avec un logiciel incomplet qui n'intégrait pas Android et son catalogue d'Apps, ces minis-programmes qu'on télécharge donc sur sa télé comme on les télécharge sur son smartphone. Et le partenariat avec Logitech, qui fabriquait des "box" GoogleTV, a complètement échoué en générant près de 100 M€ de pertes pour ce dernier, les box ne se vendant pas malgré un prix de vente divisé par trois à 99$.
Délinéarisation
Alors GoogleTV - version 2 montrera-t-il la voie pour l'explosion tant annoncée de ce marché? Pas sûr. D'abord, l'aventure malheureuse de Logitech a montré que les consommateurs ne sont pas prêts à acheter une "box" de plus à un fournisseur de plus, serait-ce Google. Ensuite, la bataille technique des normes. Et enfin, la résistance des grands fournisseurs de contenus : câblo-opérateurs ou bouquets satellites bien sûr, mais aussi (et c'est quand même pour cela qu'on a la télé à la base) les chaînes classiques. En effet, la @TV, c'est la délinéarisation complète, à la carte, de la consommation de contenus. C'est pour cela que toutes les chaînes (qui tirent leurs revenus des grands "carrefours publicitaires" à heures fixes) et les bouquets de chaînes (qui tirent leurs revenus de la vente d'abonnements) voient d'un très mauvais oeil ce nouveau canal "je consomme le contenu que je veux, et j'achète uniquement ce que je veux", qui placerait le gâteau dans les mains des géants de l'internet…
Téléviseur, ou Smartphone?
Sur le contenu maintenant : SeLoger.com, la Poste, GDF, l'Equipe.fr sont déjà présents, mais mettre un post sur Facebook à l'aide de sa télécommande de téléviseur, ca reste un challenge. Comme quoi l'avenir n'est probablement pas d'avoir tout le web sur tous les terminaux, téléviseur compris - n'en déplaise aux chantres de la "convergence". En revanche, la stratégie initiée par Google de mettre son système d'exploitation mobile Android est assez claire : l'interface d'une télé, c'est comme celle d'un smartphone… et les services qui veulent y être présents doivent s'adapter en éditant une "App", commercialisée dans l'"App Store" ou "App Market" captif, revenus à la clé… Une façon pour les géants de l'Internet de mettre un pied directement au coeur des produits des fabricants de produits bruns. Et de capturer le trafic : Android, c'est Google, donc un moteur de recherche, donc des liens sponsorisés…
Court-circuits
Chacun des acteurs bataille donc pour capturer un maximum de la chaîne de valeur : le terminal, les contenus et services, et les tuyaux : une chaîne de télévision (la BBC le fait) sera tentée de promouvoir sa propre solution de @TV. Ou un fournisseur de bouquets de chaînes, qui pourrait alors "incruster" sa propre offre d'@TV par dessus celle des chaînes historiques… Et pourquoi pas un organisateur d'événements planétaires comme la FIFA ou le CIO, qui court-circuiterait alors toute la chaîne de distribution de la prochaine coupe du monde de foot ou des Jeux Olympiques? Bref c'est encore le grand bazar. Et ce n'est pas fini, car le vrai "eldorado", c'est celui de la publicité… Alors, faudra-t-il considérer la publicité sur la télé connectée comme celle du Web, à des prix similaires, voire les grouper dans les mêmes offres de régie? Y aura-t-il cannibalisation de la publicité des chaînes historiques par celle de la @TV? Les chercheurs d'or vont devoir encore creuser quelque temps.
Nouveaux usages
Alors qu'en conclure? Revenons au début de ce billet : les usages, les usages, les usages - et là, c'est le consommateur qui décide. Au vu de ce qui précède, ce qu'on pourrait dire relèverait du bon sens : a) c'est le téléviseur lui-même qui doit être connecté, car personne n'a envie d'un boîtier de plus sous son écran de salon. b) La délinéarisation est en marche et on ne reviendra pas en arrière : il y aura convergence des services de diffusion de contenus : chaînes historiques et leur catch-up TVs, bouquets de chaînes, Video on Demand captives ou non, tout cela sera accessible "seamlessly" depuis le @téléviseur. c) Les services ressembleront plus à ceux des smartphones ou des tablettes qu'à des applications de type PC pour des raisons ergonomiques. Et si cela se vérifie, cela signifie qu'on verra émerger deux types d'acteurs, très concentrés : les plateformes de contenus télévisuels et les pourvoyeurs de services web. Ami lecteur, relisons ce billet d'ici 3 ou 4 ans...
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