Une chose est sûre, les géants de l'informatique sont à la manoeuvre. Google s'empare de Motorola, Zagat et de brevets IBM, HP se débarrasse de sa division PC, arrête les tablettes et rachète Autonomy, Apple lorgne sur DropBox et attaque Samsung… Des initiatives apparemment contradictoires mais qui visent toutes un même objectif : la maîtrise d'une économie intégré et au delà, la pleine propriété intellectuelle de leur modèle.
Le tryptique gagnant
Ou sont passées les stars qu'étaient encore récemment Nokia, Palm, Compaq ? Autrefois dominantes sur le marché des téléphones mobiles, des "organizers" et des ordinateurs, ces géants d'une ère passée ont raté le virage du tryptique gagnant 1-internet 2- terminal nomade 3- OS mobile. Avec ces quelques pages d'histoire récente - ces entreprises ont fleuri ou périclité au cours de la dernière décennie seulement - on voit clairement que ces échecs successifs ont progressivement dessiné la carte des gagnants d'aujourd'hui - et préfigurent les facteurs clés de succès de demain.
Revue de détail :
- Nokia, autrefois précurseur des smartphones (les N90 series), n'a jamais imposé son système d'exploitation (OS) mobile Symbian et l'a arrêté en février 2011, faute de pouvoir proposer ses propres terminaux, pourtant connectés. Le finlandais repart en coulisses et redevient fournisseur d'infrastructures aux opérateurs télécom.
- Palm, autrefois précurseur des tablettes avec ses organizers de poche (rappelez vous, vous sortiez fièrement votre Palm V lors des first tuesdays, il n'y a pas si longtemps…), n'a jamais sorti de terminal connecté et PalmOS (WebOS depuis le rachat par HP en août 2009 pour 1,2 Md$) est moribond. Tous les ingrédients y étaient… sauf l'internet, une lacune comblée récemment par le TouchPad que pourtant HP vient d'abandonner faute d'avoir investi les OS et les services internet, alors que justement, bradé à 99€, on se l'arrache. C'est dire si Leo Apotheker n'y croit plus.
- Compaq a été absorbé à l'époque par HP (c'était en septembre 2001, pour 25 Md$) pour inonder la planète de PCs. HP veut maintenant arrêter la fabrication des PCs et racheter Autonomy, le champion du datamining et du cloud, pour environ 10,2 Md$. Tout comme un certain IBM, qui, le premier en 2004, face à l'offensive des fabricants de PC asiatiques et à l'hégémonie de Microsoft pour leurs OS, avait cédé sa division Personal Computers a Lenovo, gagne maintenant beaucoup d'argent (14,8 Md$ pour 100 Md$ de chiffre d'affaires) dans les services aux entreprises (cloud, datamining, …). Autant de virages ratés dans les OS et l'internet...
- Google, historiquement un pure player, a développé Android, son OS mobile, largement diffusé aux fabricants asiatiques de smartphones (HTC, Samsung, et maintenant Motorola… tout comme Microsoft a la grande époque des PCs taiwanais). Mais, jusqu'au rachat de Motorola n'avait pas de terminaux depuis l'échec cuisant du GooglePhone. Pas de terminaux, mais de plus en plus de contenus : Zagat, récemment racheté (et qui valait 200M$ en 2008), se retrouvera en ligne mais aussi sur GoogleMaps, "+1", … et de plus en plus de brevets : ceux de Motorola (qui a suivi le même destin que Nokia dans les terminaux mobiles) acquis cet été pour 12,5 Md$ et un second lot de mille brevets IBM dans les technologies et les interfaces utilisateur sur mobile. Android vient d'ailleurs de prendre la pole position des OS mobiles avec 28% de part de marché (contre 26% pour iOS d'Apple).
- Apple : le seul qui a su imposer dès le départ la trilogie gagnante internet- terminal nomade - OS mobile, de surcroït de façon entièrement propriétaire en verrouillant soigneusement l'accès au Web (via iTunes). Tous les autres ont une stratégie de licensing ou d'échange (Android, par exemple, proposé "gracieusement" aux fabricants). Une seule ombre au tableau de la firme à la pomme : le cloud : iWeb et MobileMe n'ont jamais ni bien fonctionné ni vraiment décollé. Une brèche béante qu'Apple s'emploie à combler à marches forcées : on attend d'un jour à l'autre le service iCloud (avec ou sans DropBox, dont l'acquisition aurait été regardée de près récemment) - et bien sûr un espace de stockage en ligne mais aussi et surtout la synchronisation sans fil de son iPhone ou iPad, sa bibliothèque d'applications, ses achats iTunes … En attendant, une armée d'avocats s'acharne a Cupertino contre ses concurrents, suspectés de plagiat : HTC et HP en ont fait les frais récemment.
Et Microsoft, au fait qui n'a ni hardware, ni terminaux mobiles connectés, ni réel OS mobile (Windows Mobile rest très confidentiel, malgré l'annonce d'un nouveau partenariat avec... la star du passé, Nokia), ni maîtrise de l'Internet (Bing a quelques pour cent seulement du marché du search), Microsoft n'aurait-il pas du souci à se faire?
La bataille de la propriété intellectuelle
Mais la vraie bataille se joue en coulisses. On a vu que le tryptique gagnant, c'est premièrement l'OS, un bout de code qui tourne sur, deuxièmement, un smartphone ou une tablette, et troisièmement l'accès (soigneusement contrôlé par l'OS) à l'internet. Autant de fonctionnalités ou d'appareils copiables et diffusables non seulement sur le dernier modèle sorti, mais aussi -par le biais des mises à jour- sur tout le parc antérieur. On comprend que ce problème, endémique à cette industrie depuis toujours (voir les anciens litiges entre Oracle et SAP) prend une importance particulière. Et que l'avantage est souvent à celui qui a les poches les plus profondes étant donné le nombre de législations applicables et la longueur des procédures…
Alors, chacun se barde d'avocats mais aussi " rachète de l'antériorité" : les stars d'hier recèlent dans leurs bureaux d'étude nombre de brevets, peu ou pas exploités lors d'un virage stratégique raté. Autant aussi de barrières à l'entrée qui montent de plus en plus haut - et pour les start-ups, de difficultés à innover sans se faire écraser dans l'oeuf par une procédure…
Chacun bétonne donc ses positions, en attendant la prochaine innovation - ou usage car tout le monde est condamné à bouger : ce n'est pas 1000 brevets de plus qui rendront sexy un Google-Phone! En tous cas la baisse des prix des mobiles et tablettes (voir le succès tardif et inattendu des HP TouchPad), les réseaux 4G, et de nouvelles technologies de paiement (NFC) feront sûrement exploser le m-commerce et le t-commerce : ce sera l'objet d'une prochaine chronique.
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