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Il a fait Free il a tout compris (depuis longtemps)


| 1235 mots

L'offre Free mobile se comprend davantage comme un forfait "informatique mobile" plutot qu'un abonnement de téléphone mobile classique, contrairement à l'approche historique de la concurrence. C'est ça la vraie révolution, qui scelle enfin une réelle convergence voix-données pour tous.

C'est grâce à son "ADN" - sa culture d'entreprise - que Free a lancé hier une offre mobile tout illimité qui creuse vraiment l'écart avec ses concurrents. Une culture d'entreprise résolument tournée vers les "data", vers le numérique, une culture d'informaticiens réseau et de développeurs qui tranche avec les gènes des opérateurs historiques issus du monde de la voix, voire de l'analogique et qui ont toujours eu eu tendance à considérer leurs "tuyaux" comme des réseaux destinés avant tout à acheminer de la voix. Des gènes qui datent de l'époque d'avant le numérique, où un coup de téléphone consistait à ouvrir un circuit dédié entre deux personnes pour y faire passer un signal analogique... le 22 à Asnières, quoi.

Les télécoms, un "mal nécessaire"

Une culture qui s'est aussi longtemps retrouvée chez les grands fournisseurs d'équipements réseau et d'autocommutateurs (les Nortel, Siemens, Alcatel-d'avant-Lucent...), eux aussi imprégnés d'une culture d'ingénieurs informatique grand systèmes et réseau des années 70 : l'époque IBM-MVS, Gcos, etc, un monde dans lequel la pénurie de ressources CPU, mémoire et bande passante était réelle, et pendant laquelle les ingénieurs système des grandes entreprises considéraient les télécom comme tout juste bons à être rattachés aux services généraux, avec les archives, la cantine, et le courrier (postal), un monde enfin dans lequel l'informatique était une ressource rare, fermée, à ne pas mettre entre toutes les mains, et les liaisons informatiques (Transpac...) un mal nécessaire qui devait rester soigneusement isolé des tuyaux du téléphone.

On sait ce qui s'est passé depuis. Bon gré mal gré, la voix s'est numérisée, les entreprises et les opérateurs ont changé leurs équipements pour supporter la voix sur IP (VoIP) mais toujours avec des interfaces d'administration dignes des années 70, puis la virtualisation de ces équipements avec les IP-Centrex. Parallèlement le téléphone mobile est apparu, uniquement pour la voix, et massivement démocratisé par des opérateurs... qui continuaient pourtant à facturer les communications locales entre téléphones fixes bien que leur prix de revient soit devenu proche de zéro (et on sait tous que les "local calls" sont gratuits depuis plus de 20 ans aux Etats-Unis).

Fracture culturelle

L'arrivée des données mobiles a été très timide voire franchement ratée : qui se rappelle du WAP du début des années 2000, qui sait que les SMS sont à l'origine un petit outil de diagnostic entre techniciens réseau, et que pendant longtemps personne n'a pensé à en faire un "produit"? Quand aux données fixes, on se rappellera qu'il a fallu dix ans ans pour tuer et enterrer le fameux "plan câble" de 1982 dans une France dominée par France Télécom et le Minitel, personne ne croyant à l'ADSL qui envahissait les Etats-Unis ni à Xavier Niel et ses comparses qui, ayant déjà tout compris au Minitel, bricolaient... les premières "box" DSL qui devait déferler en 1999 puis 2002 avec la première offre internet illimité. Une véritable fracture culturelle.

Une autre fracture culturelle, c'est celle du "service". L'argument pouvait valoir dans les années 90 en pleine période de construction des réseaux, pris dans le sens du taux de couverture géographique qui était alors, en effet, un argument commercial. Quinze ans après, la couverture est plus que suffisante quasiment partout. Quand au reste du service, il consiste surtout à passer un temps fou à expliquer au client des forfaits à tiroirs, des options payantes, et des dépassements ! Dernière en date : "on s'engage à vous appeler deux fois par an pour faire le point". Et sur le fixe, il faut voir que, au vu des parcs installés, les FreeBox ne marchent pas plus mal que les autres box ADSL, que Free a réussi à gérer un portefeuille de clients avec trois fois moins de téléconseillers que ses concurrents, et que je ne n'ai trouvé nulle part l'indication que la pyramide des âges des clients Free soit si différente de celle d'Orange, par exemple. Free n'est d'ailleurs culturellement pas le seul : on ne peut pas joindre Google, par exemple, qui propose par ailleurs une aide et des outils en ligne très bien faits. Et entre nous, les usages évoluent : on trouve largement autant de support auprès de ses amis (sur Facebook) ou sur Commentcamarche, valorisé récemment 130 M€ avec Benchmark Group (voir l'article CFnews). En revanche là ou cela pèche, c'est sur les points de vente physiques (l'Arcep prévoit quand même un seuil de 420 boutiques à terme) mais cela, ce n'est pas dans les gènes de Free et cela pourrait rebuter les clients les moins enclins au e-commerce.

"L'illimité c'est fini"

Enfin, et c'est frappant, l'arrivée de la 3G / 3G+ s'est empilée par dessus des forfaits de téléphone mobile toujours présentés selon... la durée de communication souscrite. Alors que les usages avaient déjà basculé (voir les précédentes chroniques Techno de CFnews), que le volume de données échangés sur les réseaux mobiles avaient depuis décembre 2009 dépassé le volume de données "voix" et que les terminaux (iPhone, tablettes) embarquent déjà des fonctionnalités "interdites" ou payantes telles que la VoIP, le partage de connexion, etc. et communiquent sans arrêt à votre insu (cf. le scandale CarrierIQ et les upload "cachés" des iPhones). Les tentatives de justification des opérateurs sont pitoyables (voir en 2011 le vrai-faux débat sur "les réseaux vont saturer, l'illimité c'est fini"), à tel point qu'on se demande s'il n'y a pas une consanguinité culturelle entre le régulateur (Arcep, Commission Européenne) et le cartel des opérateurs historiques, emploi, recettes de TVA et soultes versées à l'Etat à la clé.

Les professionnels savent depuis longtemps que les prix de revient (d'un SMS, d'une heure de VoIP) sont epsilonesques, et qu'acheminer de la voix, des SMS, du trafic internet, du téléchargement, du signal TV, c'est la même chose et qu'il n'y a aucune hiérarchie, différence de coût, ou écart de qualité fonction du type de contenu. Le problème, c'est que les clients particuliers commencent sérieusement à s'en rendre compte eux aussi, y compris sur l'argument du "service" évoqué plus haut, et que la frustration est un moteur puissant... C'est en ce sens que Free, au delà du "pari" sur son modèle économique (si toutefois Orange joue le jeu de l'itinérance et que l'Arcep ne réévalue pas ses terminaisons d'appels), a toutes les chances de dépasser l'objectif affiché de 25% de part de marché. Quand à moi, je fais aussi le pari et j'ai switché ce matin !

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