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"Le confinement nous a encore plus rapprochés de nos participations"


| 1973 mots

François Poupée, Thomas Geneton, Paluel-Marmont Capital

Le binôme à la tête de Paluel Marmont Capital jette un regard sur la situation actuelle, les actions menées sur le portefeuille, le déconfinement à venir et les changements que la crise générera dans la profession.

Depuis leur arrivée à la direction de Paluel-Marmont Capital fin 2017, le binôme a déployé 80 M€ en 5 opérations : 3 LBO majoritaires et 2 investissements minoritaires en capital-développement, dont près de la moitié amenée par le groupe Paluel-Marmont. C’est en effet une des spécificités de Paluel-Marmont Capital, société de gestion indépendante agréée par l’AMF, que, d’une part, investir les fonds propres que lui confie sa maison-mère, la Compagnie Lebon, et, d’autre part, intervenir en gestion pour compte de tiers en faisant co-investir investisseurs institutionnels et personnes physiques dans ses véhicules d’investissement ad hoc créés à l’occasion de chacune des opérations. Le calendrier de liquidité est donc plus fluide.

CFNEWS : Comment la relation investisseurs-participations a-t-elle évolué depuis le début du confinement ?

Thomas Geneton (T.G.) : Le confinement nous a encore plus rapprochés de nos participations. Cet ébranlement inédit, sans précédent pour nos générations, a amplifié la nécessité et le besoin de dialogue entre l’ensemble des parties prenantes à nos opérations : équipes de management, fonds d’investissement, banquiers, conseils etc. Nous nous entretenons plusieurs fois par semaine avec chacun des dirigeants de notre portefeuille, voire quotidiennement lorsque la situation ou l’actualité l’exige : les semaines qui ont suivi la mise en confinement du pays ont été particulièrement intenses de ce point de vue, car il fallait rapidement établir des diagnostics objectifs des différentes situations rencontrées par chacune de nos participations, afin de contribuer à faire émerger des prises de décision adéquates, dans un environnement incertain mettant sous pression la liquidité des entreprises et, par conséquence directe, leurs marges de manœuvre pour poursuivre leur croissance et, dans le cas des LBO, rembourser régulièrement leurs dettes d’acquisition. Nous qui sommes habituellement sur des temps longs et des problématiques à moyen terme, nous avons plongé dans l’immédiateté des décisions à prendre. En quelques semaines, au cas par cas, nous avons en quelque sorte revisité les carnets de développement des participations avec leur management, afin d’aboutir au meilleur couple « liquidité - croissance » sans pour autant obérer la création de valeur visée à terme.Il n’est d’ailleurs pas à exclure que les durées moyennes de détention des participations de fonds d’investissement s’étirent, à l’instar de ce qui a été généralement observé dans la profession lors de la crise économique précédente. Nous avons pu également constater ces dernières semaines la mise en sommeil d’un nombre significatif de projets de LBO secondaires ou de reclassement d’actionnaires financiers qui en étaient à divers stades de commercialisation avant le confinement. Depuis quelques semaines nous commençons par ailleurs à analyser, avec les managers des participations, les ajustements et adaptations éventuels des « business models » que requerra l’après-confinement.

François Poupée (F.P.) : Le sentiment que nous partageons, après ces quelques semaines, c’est que chacun, à son niveau et en restant dans son rôle - le nôtre est d’être actionnaire et administrateur - s’est retroussé les manches sans états d’âmes et en ayant conscience qu’on est tous sur le même bateau, avec les mêmes objectifs. C’est la vertu du modèle du private equity qui aligne parfaitement les intérêts, et nous pensons que cet état d’esprit perdurera.

CFNEWS : Comment votre rôle d’investisseur évolue-t-il dans vos participations ? Quelles sont les différences entre les positions majoritaires et les positions minoritaires ?

T.G. : Peu de distinction chez nous en vérité, car la profession d’actionnaire actif ne connait pas de frontière de ce genre : nous sommes par nature et par conviction un « sparring partner » et une boîte à outils pour les équipes de management que nous accompagnons, avec le prisme de la PME qui est celui de Paluel-Marmont Capital depuis plus de 70 ans.

F.P. : Bien sûr, quand nous sommes minoritaires aux côtés d’un confrère majoritaire, comme par exemple dans Sogetrel, nous laissons naturellement celui-ci exercer son leadership dans la relation avec la participation ; en revanche, quand nous sommes minoritaires et seuls financiers aux côtés des dirigeants, nous agissons dans cette crise de la même façon que lorsque nous sommes majoritaires, c’est-à-dire main dans la main avec les dirigeants.

T.G. : L’illustration première qui me vient à l’esprit après les travaux et réflexions des dernières semaines est l’accent mis sur l’affermissement de la liquidité de nos participations : comment aménager temporairement le point mort de l’entreprise sans toucher, entre autres, à la motivation des salariés et aux leviers de croissance ? Quels sont les retards voire les défauts d’encaissements à anticiper ? Comment informer au mieux les partenaires bancaires afin de les faire participer activement aux analyses rendues nécessaires par la crise sanitaire et ses conséquences ? Comment assurer aux participations un accès diligent et efficace aux mesures de soutien gouvernementales et régionales ? Que faire pour retrouver une visibilité sur la génération de trésorerie d’exploitation après avoir fait le nécessaire à très court terme pour limiter les sorties de trésorerie non immédiatement utiles à l’exploitation et à la préservation de l’emploi et de l’outil productif ? Quels sont les arbitrages à mener à propos des projets de croissance interne et externe engagés avant le confinement ? etc. S’agissant plus particulièrement de notre portefeuille, qui a certes été déstabilisé par la crise sanitaire comme la quasi-totalité des entreprises françaises, nous n’avons pour l’heure enregistré aucun report de recrutement ou de projet de croissance externe engagé pré Covid-19. Bien au contraire, nous avons profité des dernières semaines pour enclencher l’étude de nouveaux projets de build-up.

CFNEWS : Avez-vous remarqué des changements dans votre relation avec les LPs depuis quelques semaines ?

T.G. : Là aussi le dialogue et la transparence sont de mise, avec des fréquences d’information peut-être un peu moins formelles mais plus resserrées, avec, là encore, une attention toute particulière accordée à la liquidité des participations. La confiance de nos pourvoyeurs de fonds nous a heureusement permis d’allouer l’essentiel de notre temps confiné au soutien des équipes de management de notre portefeuille.

CFNEWS: Quel va être selon vous l’impact du prochain « déconfinement » sur les volumes de transaction et les valorisations ?

T.G. : Il est trop tôt pour savoir quels impacts sur notre segment du small to midcap aura la mise sous assistance publique des sphères financières et d’une partie de l’économie réelle. On ne peut que constater, aujourd’hui, que les banques sont monopolisées par les actions d’urgence sur la liquidité à court terme de leurs clients, ce qui toutes choses égales par ailleurs, aura forcément un impact défavorable sur les volumes de transaction, du moins en capital-transmission, même s’il est difficile de pouvoir se livrer à des conjectures tant ce qui se passe en ce moment n’est pas comparable à la crise financière de 2008 que nous avons connue en tant qu’investisseurs. Ceci étant dit, les réserves de poudre sèche des fonds d'investissement demeurant, les sociétés dont les secteurs sous-jacents n’auront pas ou peu été affectés par la crise sanitaire devraient être a priori en mesure de pouvoir faire l’objet de transactions. Mais, dans l’attente de la sortie des comptes 2020 et des plans d'affaires révisés, on pourrait bien se retrouver confronté à un « marché » davantage d’acheteurs que de vendeurs, avec les conséquences qui sont susceptibles d’en être tirées en termes de valorisation. Plusieurs opérations ce sont conclues depuis le confinement, ce qui pourrait être interprété comme un signal encourageant sur l'éventuelle capacité des établissements bancaires (et autres fonds de dettes) à accompagner, au-delà des actions d’urgence dont nous parlions, les fonds de capital-investissement. S’agissant des besoins en capital-développement, on pourrait considérer, si l’on est raisonnablement optimiste, qu’ils seront probablement intensifiés en raison d’une crise qui aura révélé certaines carences ou failles de notre industrie nationale et aura affaibli les fonds propres de sociétés familiales, lesquelles auront besoin de les reconstituer pour « rebondir ».

F.P. : L’impact à plus long terme sur les niveaux de valorisation dépendra en premier lieu la forme que prendra la reprise (en V, en U, rapide ou au contraire étalée sur plusieurs années...) et là, nous ne savons pas encore à quoi nous en tenir, d’autant que ce sera probablement variable d’un secteur à l’autre. En second lieu, les valorisations du private equity dépendront de la correction qui se produira ou pas, ou plutôt de son ampleur car il est fort probable qu’elle ait lieu, sur la valorisation des autres actifs (marchés cotés, immobilier...) en France et dans le monde, car le private equity n’est pas décorrélé du reste, même s’il est moins volatil. Enfin, il va falloir revisiter un certain nombre de nos critères d’analyse de valeur et de risque : certaines activités de proximité non délocalisables devraient reprendre de la valeur tandis qu’il faudra re-questionner quelques concepts qui ont guidé la réflexion managériale de ces dernières décennies, comme le flux tendu, la fabrication sans usine et la délocalisation poussée. Mais toutes ces relocalisations de valeur ajoutée, probablement nécessaires, ne pourront pas s’envisager rapidement ni sans surcoût vu les écarts de salaires entre les pays. Aussi, qui assumera ce surcoût ? Les entreprises occidentales en baissant leurs marges déjà basses, les consommateurs via un regain d’inflation, les salariés incités à la modération salariale alors que le pouvoir d’achat a déjà baissé, les États et les contribuables... Vastes questions ? A défaut d’y répondre, tout reprendra peut-être comme avant, jusqu’au prochain séisme qui sera probablement climatique.

A notre niveau, en tant qu’actionnaire actif et engagé, la période actuelle doit également amener à la réflexion pour envisager le monde de demain, au-delà de la nécessaire reprise. Sans aller jusqu’au « grand soir » de la fin radicale du système capitaliste, il nous faut sûrement redonner du sens à nos actions, remettre l’humain et la raison d’être des entreprises au centre du raisonnement, se recentrer sur des visions stratégiques claires, réfléchir aux nouveaux modes d’organisation, faciliter le télétravail choisi, encourager l’engagement des équipes dans des projets... Et probablement, réfléchir à un meilleur « partage » de la valeur. Le private equity français est déjà pionnier en la matière, avec la loi portée par France Invest et votée en 2019 sur le partage de plus-value, mais, sans doute, faut-il accélérer le mouvement. Depuis longtemps chez PMC, nous avons traduit l’acronyme RSE par « Redonner du Sens Ensemble ». Plus que jamais c’est d’actualité.

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