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Les financiers investissent le terrain du foot

Dans le mouvement de financiarisation du sport, le ballon rond cristallise l’attention des investisseurs qui s’arrachent les clubs à prix fort. CFNEWS décrypte cette tendance née après l’arrivée de QSI au PSG, qui amène aujourd'hui plus de la moitié des équipes de Ligue 1 à comporter un financier à leur tour de table.

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©Adobe Stock

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Le temps de Colony Capital semble bien loin. Le fonds américain, désormais connu sous le nom de DigitalBridge, était l’un des premiers investisseurs à s’intéresser au football, en 2006. Il rachète alors le Paris Saint-Germain à Canal+ pour 41 M€ en s’associant à Morgan Stanley et Butler Capital Partners (devenu Butler Industries) avant d’en prendre le contrôle trois ans plus tard. « L’image de Colony Capital a énormément souffert en France de l’investissement dans le PSG, constate un conseil de la Place. La pression populaire était forte pour cet investisseur plutôt discret, d’autant que les supporters ont du mal à faire la différence entre la taille d’un fonds et les montants alloués à une participation. » Face à cette situation, l’investisseur cède en deux temps, entre 2011 et 2012, le club à Qatar Sports Investments (QSI) dans le cadre de transactions valorisant le PSG entre 50 M€ et 100 M€. Cette date a changé l’histoire sportive du club, mais elle a surtout marqué un tournant dans celle du football en France. Dans l’élan du fonds souverain qatari, ce secteur est devenu attractif aux yeux des investisseurs. Ainsi, treize des dix-huit pensionnaires de Ligue 1, l’élite du football tricolore, ont changé d’actionnaire depuis 2011 (voir infographie plus bas). Surtout, la moitié d’entre eux ont un fonds ou un family office au capital. 

Vers la fin des actionnaires locaux ?

Jean-Philippe Bescond, Lazard

Jean-Philippe Bescond, Lazard

« Nous avons observé le changement du type d’actionnaires sur un horizon de 20 ans, abonde Jean-Philippe Bescond, associé gérant de Lazard. L’entrepreneur local qui réussit et réinvestit dans son territoire d’origine dans un souci d’image et avec une empreinte sociale s’efface au profit de financiers. » Ainsi, l’AS Saint-Etienne a récemment quitté le giron des deux hommes d’affaires locaux Roland Romeyer et Bernard Caïazzo pour rejoindre le family office canadien Kilmer Sports Ventures moyennant environ 25 M€. Un retrait des personnalités locales qui s’est aussi récemment produit à Lille, Lyon ou encore Strasbourg. « L’arrêt Bosman de 1995 [fin des quotas de joueurs étrangers, ndlr], l’arrivée des premiers gros investisseurs et le décuplement des droits de retransmission ont complètement métamorphosé ce sport avec des moyens et des besoins de plus en plus forts, poursuit Jean-Philippe Bescond. Les actionnaires historiques n’ont plus le bon profil car ils ne peuvent plus suivre cette course au capital. »

Des pertes récurrentes

Le PSG illustre parfaitement ce changement de dimension du football professionnel sous l’ère QSI. Son chiffre d’affaires a été multiplié par plus de onze entre 2010 et 2023, pour s’établir à 807 M€ et sa valorisation a été multipliée par environ 50 pour grimper à 4,2 Md€ lors de l’entrée en minoritaire du fonds Arctos Partners, l’an dernier. Mais les pertes se sont aussi décuplées sur la période avec un résultat net négatif de près de 110 M€. Une situation exceptionnelle par son ampleur, mais pas par sa fréquence. Ainsi, sur les 18 équipes qui vont évoluer en Ligue 1 la saison prochaine, 11 affichaient un résultat net négatif dans leurs comptes audités à fin juin 2023. « Si tu es bon gestionnaire, tu peux gagner de l’argent dans le sport », assure Jason Schretter, associé de la banque d’affaires spécialisée Raine. Le RC Lens est parvenu à enchaîner plusieurs exercices dans le vert, fait relativement rare dans le football professionnel. Malgré cela, le niveau d’investissement est difficilement soutenable sans l’aide d’investisseurs. Joseph Oughourlian, propriétaire du club nordiste et fondateur d’Amber Capital, a fait entrer Side Invest, un fonds géré par IRD Invest l’an dernier. De son côté, Loïc Féry (fondateur de Chenavari Investment Managers) a confié une partie du capital du FC Lorient à Black Knight Football and Entertainment (BKFE), début 2023. 

 Actionnariat des principaux clubs de football français de Ligue 1 en 2023 © CFNEWS.net

 Actionnariat des principaux clubs de football français de Ligue 1 en 2023 © CFNEWS.net

Les clubs se prêtent mal au LBO...

Baptiste Gelpi, Reed Smith

Baptiste Gelpi, Reed Smith

« Il y a une professionnalisation de l’actionnariat des clubs et donc aussi du financement, constate Baptiste Gelpi, associé de Reed Smith. C’était historiquement le propriétaire et les banques régionales qui finançaient les clubs. Le modèle s’est aujourd’hui complexifié. Les relations avec les partenaires locaux ne suffisent plus et les sommes en jeu sont bien plus importantes. » Les investisseurs ont donc amené avec eux d’autres sources de financement comme ce fut le cas avec Gérard Lopez. Le fondateur de Mangrove Capital, connu pour avoir amorcé Skype, s’est emparé du LOSC début 2017 en valorisant le club lillois environ 80 M€. Il mène ensuite une politique d’investissement en s’appuyant sur des liquidités principalement apportées par Elliott Management. Mais les revenus s’effondrent, notamment du fait du covid-19, et la dette devient exigible, poussant l’entrepreneur vers la sortie au profit du fonds britannique Merlyn Advisors. Un recours au levier aussi activé par John Textor. L’homme d’affaires s’est appuyé sur 425 M$ d’unitranche apportée par Ares Management pour mener l’acquisition de l’Olympique Lyonnais via Eagle Football. « Le sport professionnel est une activité saisonnière et non sans risque financier, les difficultés financières des Girondins de Bordeaux ont montré la fragilité des clubs, que même leur prestigieuse histoire ou leur réputation ne protège pas », avertit cependant Baptiste Gelpi. Le club bordelais avait en effet été acquis par le fonds américain King Street aux mains de M6 pour plus de 100 M€ mi-2018 en s’appuyant notamment sur 38 M€ d’obligations apportées par Fortress Investment Group. Mais là aussi le rêve a tourné court avec une reprise dans le cadre d’un mandat ad hoc par… Gérard Lopez, en 2021 et des nouvelles difficultés rencontrées aujourd’hui.

... mais peuvent se financer en dette

« Sur des clubs, mieux vaut ne pas mettre trop de dette », préconise un banquier. Les investisseurs trouvent donc d’autres parades. « Les financiers ont regardé les ressources des clubs avec une part significative qui provient de revenus récurrents ou prévisibles, comme la billetterie, le sponsoring, les parkings… explique l’associé de Reed Smith. Ces recettes peuvent être titrisées afin que les clubs puissent percevoir ces sommes en amont, via de la dette privée adossée. Ces solutions répondent a l'inadéquation entre les besoins en trésorerie des équipes de football et leurs revenus. Les principaux investissements sont en début de saison notamment au moment du mercato. Les entrées tombent souvent pendant ou en fin de saison, comme celles liées aux résultats sportifs, aux contrats de sponsoring avec des échéances sur plusieurs années ou les paiements de certaines indemnités de mutation étalés dans le temps. » C’est notamment la voie choisie fin 2023 par l’OL, qui s’est refinancé grâce à un fonds commun de titrisation amortissable sur 20 ans de 320 M€ notamment adossé aux créances commerciales du Groupama Stadium (le stade où évolue l’équipe lyonnaise).

La France l’Eldorado aux yeux des étrangers ?

Jason Schretter, Raine

Jason Schretter, Raine

Côté equity, les nouveaux investisseurs n’entrent pas au capital d’une équipe par proximité locale ou par amour du maillot. D’ailleurs plus de 60 % des clubs de Ligue 1 sont aujourd’hui détenus par un propriétaire étranger. Ils sont motivés avant tout par les perspectives de plus-value. « Nous constatons une amélioration des profils des dirigeants des clubs professionnels avec un vrai travail pour augmenter les recettes commerciales, même si la France conserve malgré tout un retard sur le sujet par rapport à ses concurrents allemands et anglais, constate Hubert Tuillier, associate director Sports Advisory chez KPMG CF. Fonds et investisseurs spécialisés ont identifié la France comme un marché sous-exploité commercialement et donc sous-valorisé, avec malgré tout, des atouts majeurs comme un environnement économique stable, un fort soutien public dans les équipements et une formation de qualité. » Ces financiers sont souvent originaires d’Amérique du Nord, où la consommation du sport est bien différente, avec un prix élevé par place et des recettes de merchandising (restauration sur site vente de produits dérivés…) très importantes. « Il y a un intérêt fort pour l’Europe de la part des investisseurs américains et canadiens, confirme l’associé de Raine. Mais nous voyons aussi des investisseurs du Moyen Orient, d’Amérique latine et d’Asie s’intéresser au sport européen. » Une thèse d’investissement qui interroge cependant Olivier Jarrousse, associé-gérant d’UI Investissement et membre de la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion) : « La vision économique qu’aurait un fonds d’investissement dans le sport professionnel n’est pas toujours aisée à percevoir, notamment sur le moyen terme. Le modèle américain, dans lequel la consommation du sport – souvent en ligue fermée - est culturellement différente, est sans doute peu réplicable en France. Les investisseurs se sont, pour l’heure, inscrits dans les modèles économiques des clubs en cherchant à actionner les leviers usuels de la billetterie, du merchandising ou encore de l’hospitalité, mais avec un impact modéré compte tenu du poids des droits TV. »

De club de foot à marque mondiale

Le PSG sous QSI en est la parfaite illustration, mais d'autres, dans une moindre mesure, se sont aussi attelés à la transformation de leurs actifs. Fort de son expérience dans le sport aux États-Unis à la tête des Dodgers de Los Angeles (baseball), l’homme d’affaires américain Frank McCourt a réussi à tripler les recettes de l’Olympique de Marseille depuis son acquisition, en 2016. « Les investisseurs étrangers ont une vision globale, ils renforcent les infrastructures et dotent la partie sportive, mais recrutent aussi sur des postes administratifs avec la volonté de gérer des clubs comme des sociétés d’entertainment et des médias. Leur objectif est de faire grandir la fan base et monétiser cette audience », analyse un investisseur. Comme dans les autres sports professionnels (voir première partie de cette enquête), la volonté est de capitaliser sur le poids médiatique des équipes de foot. Ces dernières deviennent des marques à part entière. Les trois principales en France - le PSG, l’OM et l’OL - sont respectivement estimées à 1,1 Md€, 173 M€ et 160 M€ en 2023 selon une étude de Brand Finance Football. « Les clubs qui sont parvenus à établir leur marque peuvent monétiser leurs audiences, confirme Jean-Philippe Bescond. Un seul match du Real de Madrid peut représenter jusqu’à 20 M€ de recettes, par exemple. »  Mais faire d’une équipe une puissance commerciale nécessite des investissements importants, parfois mis en péril par l’aléa sportif. Surtout, malgré une marque puissante, les propriétaires n’ont pas la main sur la première source de revenu de leur club : les droits TV (suite et fin de notre enquête à lire demain). 

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