L'investissement des sportifs dans la tech est une pratique encore jeune dans l'Hexagone. « Lors de nos premières levées en 2012, accueillir des athlètes à son capital était rare en France, mais monnaie courante aux Etats-Unis. Tony Parker a contribué à initier le mouvement dans le pays », explique Nizar Melki, co-fondateur de l’éditeur d’une solution de gestion des compétitions sportives et des clubs Sporteasy avec Albin Egasse. Depuis sa retraite sportive en 2019, l'ancien basketteur est devenu un investisseur en série dans l’Hexagone. Particulièrement dans l’économie numérique, que ce soit via la structure Blast.club, ou à titre individuel, par exemple dans le cadre de l'émission de télévision « Qui veut être mon associé ? ». Dans son sillage, plusieurs autres grands noms du sport tricolore se sont récemment distingués, tels que Ciryl Gane, Pierre Gasly ou Antoine Griezmann. Prenant la roue d'illustres athlètes américains, comme Michael Jordan, Serena Williams et Tiger Woods, ils contribuent à structurer une pratique aussi vertueuse pour les entreprises que… pour leur propre portefeuille.
Des investissements réservés à une niche d'athlètes
L’investissement dans la tech est principalement l’apanage de quelques athlètes issus d’une poignée de disciplines à forte visibilité, comme le football, le rugby, les sports de combat et les sports automobiles. « Il y a une différence entre les pratiques individuelles et collectives, note Souleymane-Jean Galadima, directeur général du gestionnaire de fortune Sapians. En équipe, les joueurs sont sous contrat, avec une rentrée d'argent régulière. En individuel, les sommes récoltées sont plus volatiles car liées aux performances. » Pour la majorité des sportifs, la priorité reste cependant de ne pas voir leur fortune se dilapider, ce qui limite la part qu’ils allouent au non-coté, et à plus forte raison encore au capital-innovation. « 70 % des sportifs de haut niveau n'ont plus d'argent cinq ans après la fin de carrière. Ceci est notamment dû à un train de vie restant élevé et à leur entourage (famille, amis ou encore religion), explique Lionel Sarrut, directeur associé de Laplace Sport et ancien footballeur professionnel à Saint-Etienne. Il faut leur faire comprendre qu'ils ne gagneront probablement jamais autant qu'avec le sport. La rentabilité n'est pas absolument visée et une vision de sécurité est d'abord adoptée. » Pour cela, des classes d'actifs comme le private equity sont souvent mises de côté au profit d'investissement en immobilier. « La plupart des sportifs s'estiment riches, et veulent le rester, poursuit Souleymane-Jean Galadima. Seule une minorité s'oriente vers le private equity pour chercher de la performance et diversifier son capital. »
Une pratique individuelle mais aussi collective
Si elle convainc davantage les joueurs ayant terminé leur carrière, et disposant d’un patrimoine établi, la tech attire également des sportifs en activité. Ainsi, Antoine Dupont, Kylian Mbappé, Aurélien Tchouaméni ou encore Rudy Gobert ont déjà transformé l'essai en investissant dans des start-up françaises. « La jeune génération a besoin de donner du sens à ses finances, au-delà de la sécurisation de son avenir, détaille le footballeur Raphaël Varane, fraîchement recruté à Côme. Nous avons envie d'avoir un impact sur la société, c'est un peu notre façon de construire le monde de demain. » Le champion du monde a déjà investi dans plusieurs jeunes pousses nationales (Kinvent, Footbar, Kobi et Docent) en tant que business angel. « J'ai dû bâtir autour de moi une équipe afin de faire un premier tri des sollicitations que je reçois chaque semaine. Elle gère la partie finance, les chiffres et jauge le sérieux des projets, ajoute-t-il. C'est ensuite une question de feeling. » En parallèle, Raphaël Varane est également souscripteur de fonds dédiés aux sportifs. Plusieurs ont vu le jour ces dernières années, sous l'impulsion de jeunes retraités des terrains, comme le fonds à impact Teampact Ventures, piloté par Benjamin Kayser, ou encore Origins, co-créé par le footballeur Blaise Matuidi.
Coacher la sportech… mais pas seulement
Les jeunes pousses deviennent attractives pour les grands sportifs, qui y voient souvent un lien avec leur parcours quel que soit leur domaine d’activité. « Il y a des situations difficiles en entreprise similaires à ce que nous vivons au quotidien en club, continue Raphaël Varane. Il faut toujours avoir un temps d'avance en sport et en innovation. Nous pouvons gagner un match, mais il faut toujours préparer le suivant, puis le mois, voire la saison d'après. » Cependant, les sportifs n'interviennent pas uniquement auprès des start-up du monde du sport, mais plutôt dans des projets ayant un sens à leurs yeux. A titre d'exemple, Teampact Ventures, qui se déploie auprès de tous types de sociétés à impact social ou environnemental, et Origins ont tous les deux participé au 5ème tour de la fintech Alan, alors que Athletico Ventures est entré au capital du producteur d'alternatives végétales à la viande Umiami. Mais les jeunes pousses du sport cherchent de plus en plus à attirer des athlètes « depuis que plusieurs sociétés ont démontré que cela était possible », d'après Nizar Melki. Au total, plus de 35 entreprises hexagonales ont obtenu des fonds de la part d'athlètes français depuis 2020, selon les bases de données CFNEWS (retrouvez la liste des start-up financées ici), comme Sorare, Latitude et Upway.
Un jeu d’équipe bien rodé
Et pour cause, « l'arrivée de sportifs au capital présente un triple intérêt, explique Jacques d'Arrigo, créateur du capteur Footbar et président du collectif SporTech FR. Dans le cas de Raphaël Varane, l’apport financier à notre start-up est déjà loin d'être négligeable. Nous pouvons aussi tirer profit de son image afin de faire connaître un produit. Il y a enfin un volet philanthropique lié aux projets de stages de football gratuits pour enfant qu'il a mis en place et que nous suivons. Les sportifs peuvent également aider au développement du produit comme dans le cas de la medtech Kinvent, dont ils ont pu tester la solution de rééducation en premier. » Il est cependant à noter que les sportifs interviennent rarement en service for equity. Au-delà de leur image, leur résilience face aux challenges rencontrés peut être une source d'inspiration pour les fondateurs de start-up. « Les athlètes ont bien plus à amener que seulement un pouvoir d'influence ou une expertise technique, explique Benjamin Kayser, dans le cadre de l'évènement Sport Définition organisé par Bpifrance. Ce sont des bestiaux de compétition qui savent se fixer des objectifs, se relever de l'adversité, et être confortable dans l'inconfortable. Cet ensemble de valeurs peut apporter aux entrepreneurs, si nous permettons aux deux parties de se rencontrer et d'échanger. »