Patrick Vignaud, B-Harmonist et Elodie Le Gendre, Sevenstones
Avant la crise, le marché présentait tous les signes d’une surchauffe alimentée par des liquidités en abondance, des taux d’intérêts négatifs, une concurrence acerbe entre acquéreurs financiers et industriels pour des cibles convoitées et un effet de levier bancaire au plus haut. La finance semblait reine faisant oublier les rapprochements conduisant à des échecs retentissants et la destruction de valeur qui accompagne trop souvent les opérations financières. Qu’en sera-t-il demain ? La tentation est forte d’un retour à l’anormal, aux réflexes anciens, l’aspiration au changement disparaissant dans les limbes de l’habitude et sous le flot de la recherche de performance financière. Et d’ailleurs comment serait-il possible de faire autrement ?
Réinventer les opérations financières pour plus de sens et de bon sens
Nous sommes convaincus au contraire que cette crise nous donne à tous une occasion unique de changer de paradigme pour une finance plus harmonieuse, créatrice de valeurs humaines et… financières ! Comment le faire concrètement ? Voici 4 clés : une évolution radicale de la façon d’appréhender la valeur d’une entreprise, une systématisation des audits de compatibilité culturelle, la mise en place d’une gouvernance de l’opération financière, une étude en amont de la tactique d’intégration.
Appréhender la valeur intrinsèque d’une entreprise
La crise va impacter durablement les résultats de nombreuses entreprises, et rendre complexe l’appréciation de leur rentabilité normative après un millésime 2020 que beaucoup voudront s’empresser d’oublier. D’autres vont tirer leur épingle du jeu et démontrer leur résistance exemplaire au Covid 19, renforçant à la fois leur attractivité et leur capacité à réaliser des croissances externes pour asseoir leur leadership. Pour réconcilier les attentes des acheteurs et vendeurs dans ce marché contrasté, l’analyse financière classique va révéler ses insuffisances. Il sera nécessaire d’opérer un rééquilibrage au bénéfice d’une appréciation de toutes les dimensions de l’entreprise, procurant un formidable appel d’air à l’extra financier. La résilience de l’entreprise et sa capacité de rebond rapide post traumatique pour recouvrer voire améliorer sa rentabilité sera déterminante dans un contexte économique durablement chaotique. Prendre en compte de manière exhaustive des risques auxquels est exposé une société, en intégrant non seulement les risques financiers, mais aussi les risques sanitaires, environnementaux, sociaux, de rupture technologique… permettra d’analyser sa visibilité réelle tout en mesurant l’impact positif qu’elle peut avoir sur son écosystème.
L’ancrage territorial, la capacité à intégrer harmonieusement le « digital » dans les business models et à répondre aux nouvelles aspirations des salariés et des clients sont autant de critères essentiels pour demain pour apprécier la valeur intrinsèque d’une entreprise.
Choisir en conscience ses contreparties car toutes ne se valent pas
La crise aura mis en lumière la puissance de la culture d’entreprise pour fédérer les équipes, fidéliser les clients, faire pivoter rapidement les offres pour les adapter à une réalité nouvelle, et engager toutes les parties prenantes dans la reprise d’activité. La culture d’entreprise est clé car elle constitue la principale source de singularité de l’entreprise, en structurant ses comportements, sa vision, son ambition et sa durabilité. C’est elle qui la première permet de donner du sens à l’action de l’entreprise, dans un monde où l’appel au sens, à l’engagement authentique et à la responsabilité est criant. La singularité peut être cultivée …. Et c’est ce qu’un acquéreur valorise. A l’inverse, le déni des spécificités et des éventuelles incompatibilités culturelles entre les contreparties d’une opération financière sont les germes d’un choc de cultures et d’une destruction de valeur annoncée. La réalisation d’audits de cultures est la voie la plus efficace pour se donner toutes les chances de choisir la bonne contrepartie, gage d’une intégration réussie et d’une création de valeur durable sur tous les plans. Choisir avec minutie les contreparties pertinentes… en osant aller jusqu’au bout de l’exercice de la liberté du choix, celle de renoncer si les critères définis comme essentiels ne sont pas au rendez-vous.
Définir une gouvernance de l’opération financière pour préserver la confiance
La définition en amont et la mise en œuvre d’une gouvernance de l’opération financière en elle-même, reprenant les valeurs et les enjeux du projet commun n’est pas dans les habitudes. La négociation est souvent émaillée de rapports de force et de tensions qui grèvent la confiance et l’envie de s’inscrire dans la durée. La manière dont se construisent les accords entre les contreparties d’une opération détermine souvent les rapports futurs entre elles. Privilégier la confiance pour passer les épreuves et tenir le cap de l’unité par tous les temps peut paraître naïf alors que la dureté de la conjoncture va s’imposer radicalement. Au contraire ! Une fois la compatibilité culturelle vérifiée, jouer la confiance, la transparence et l’alignement des intérêts est la stratégie gagnante. Le respect de la gouvernance de l’opération financière permet de préserver la confiance tout au long du process et de construire un projet d’avenir se traduisant par un ordonnancement efficace des instances de gouvernance, fondé sur l’écoute, l’agilité et l’acceptation d’une contradiction constructive.
Réfléchir à l’intégration en amont pour éviter un clash de cultures
La réussite d’une opération financière repose sur la qualité de l’intégration et de l’exécution. Tout choc de cultures se traduit par des incompréhensions, le départ de personnes clés et de la destruction de valeur. Avoir conscience que le closing n’est que le commencement, appréhender en amont les cultures d’entreprise, travailler à leur compatibilité, avoir réfléchi aux scenarios d’intégration, intégrer le plus tôt possible les opérationnels … sont les clés du succès ! Les cultures d’entreprises se gèrent sinon elles se rappellent à vous inévitablement.
Appel à une finance plus responsable
Ces quatre clés ne donnent pas accès au paradis de la finance, car la finance n’est qu’un instrument au service d’un projet porté par des hommes et des femmes. Elles ouvrent simplement la voie d’une finance plus responsable où le graal serait une création de valeur durable et respectueuse de toutes les parties prenantes et non plus seulement le TRI à court terme! Réaliser des opérations financières de manière harmonieuse avec une plus grande création de valeur dans la durée est tout à fait possible et est déjà réalisé … par un trop petit nombre d’acteurs. Face à la très forte probabilité d’un retour à l’anormal, nous appelons tous ceux en résonance avec cette façon plus naturelle de réaliser les opérations financières à collaborer ensemble pour faire évoluer les mentalités.