Jean-Philippe Hecketsweiler, Peqan
Depuis la parution à l’automne du rapport de France Invest : Rendre le capital investissement accessible, médias et investisseurs accueillent avec enthousiasme la promesse d’une démocratisation du Private Equity. Mais cette ouverture n’intervient-elle pas à contretemps avec la concrétisation des risques d’inflation et de hausse des taux d’intérêts ? Comme l’a récemment rappelé le rapport publié par Bain, le Private Equity est cette classe d’actifs très dynamique et performante depuis plusieurs décennies qui s’est progressivement imposée dans les choix d’allocation des investisseurs institutionnels et des plus grands investisseurs privés de la planète, en contrepartie notamment d’une prise de risque. L’enjeu du mouvement en cours est d’élargir l’accessibilité aux fonds de capital-investissement habituellement réservés à des investisseurs institutionnels. Les tickets d’entrée à plusieurs millions d’euros étant hors de portée du grand public.
Deux dynamiques sont actuellement à l’oeuvre pour pousser à une telle démocratisation. La première correspond au souhait de nombreux investisseurs privés d’accéder aux performances du Private Equity institutionnel mais sans pouvoir disposer des montants nécessaires. La seconde répond au souhait des gérants d’élargir leur portefeuille d’investisseurs quand les institutionnels ou les grandes familles ont atteint leurs limites d’allocation en Private Equity.
A travers le monde, des acteurs se développent pour pouvoir y répondre. Leur capacité de sélection et leurs plateformes digitales leur permettent de gérer des milliers d’investisseurs qui peuvent investir des montants raisonnables dans des fonds professionnels de Private Equity, et donc de jouer sur les volumes. Elles offrent aux investisseurs privés et à leurs conseillers financiers un accès inédit à une classe d’actifs jusqu’alors réservée aux institutionnels. Cependant cette marche vers une plus grande accessibilité intervient au moment d’un retournement des conditions de marché avec la remontée des taux et le retour de l’inflation.
Le Private Equity peut-il renouveler ses performances ?
Le discernement des gérants sera un facteur décisif. Plus encore que par le passé, les équipes devront se concentrer sur des entreprises disposant d’un fort pricing power et d’un potentiel de croissance sur le long terme. Seule une transformation qualitative de ces entreprises – amélioration de leur potentiel, de la récurrence de leurs revenus, de leur taille ou de leurs avantages compétitifs – permettra d’augmenter leurs résultats et leurs multiples de valorisation. Tous les gérants ne sauront pas s’adapter, ce qui débouchera sur des écarts de performance entre les différents acteurs.
On identifie aujourd’hui plusieurs raisons pour faire ses premiers pas en Private Equity. Avant toute chose, rappelons que l’investissement dans des fonds de capital-investissement comporte des risques notamment de perte en capital, d’illiquidité, de valorisation et de change. Les fonds investis sont bloqués pendant toute la durée de l'investissement. Les performances passées ne constituent pas une indication fiable de la performance future. Des risques nouveaux se font jour à travers l’inflation et la hausse des taux. Mais ces évolutions sont aujourd’hui clairement identifiées et intégrées dans le choix, et souvent le prix, des opérations réalisées par les équipes d’investissement. Plus encore que par le passé, la capacité des entreprises à répercuter la hausse des prix est devenue un critère clé d’investissement. La structuration des transactions intègre par ailleurs un coût de la dette plus élevé. De ce point de vue, il est préférable d’investir aujourd’hui plutôt qu’il y a 18 mois quand ces risques étaient peu ou pas intégrés dans les décisions d’investissement.
Le Private Equity offre aussi une exposition complémentaire, et inaccessible par ailleurs, à des entreprises de qualité présentant des caractéristiques très différentes des sociétés cotées : par exemple, sur le segment du LBO, la taille d’une entreprise est en moyenne dix fois inférieure à une société cotée en bourse. Le capital-risque et le Growth offrent quant à eux une exposition aux technologies de demain. L’investissement progressif sur 4/5 ans permet par ailleurs aux acheteurs d’acquérir des entreprises à des prix reflétant l’évolution graduelle du contexte macro-économique et de tirer parti d’opportunités conjoncturelles.
Mais surtout les fondamentaux demeurent inchangés. Ils reposent sur une compréhension intime des entreprises, acquise lors de due-diligences approfondies permettant de déployer des plans d’affaires ambitieux sur le moyen et long terme sans dictature des résultats trimestriels. La coopération étroite entre des actionnaires professionnels et des équipes de management chevronnées rend alors possible un alignement des intérêts des parties prenantes au succès des opérations.
In fine, le Private Equity reste une classe d’actifs dont l’objectif de rendement nominal reste élevé (en contrepartie d’une prise de risque élevée, notamment en termes de liquidité) et donc adaptée à des investisseurs privés pouvant accepter une part d’illiquidité (5 à 20% du patrimoine généralement recommandé selon le profil du client). Les investisseurs privés bénéficient pour la première fois de la possibilité d’investir dans les mêmes fonds sous-jacents que les plus grands investisseurs institutionnels. Au-delà de faciliter l’accès aux fonds, les acteurs de cette démocratisation ont une responsabilité forte pour guider les nouveaux venus dans un monde certes plus complexe et risqué mais qui reste riche en opportunités.