Les fonds vont-ils pouvoir renvoyer du cash à leurs LPs après une année 2023 pauvre en exits ? Dans son rapport publié en début d'année, Bain faisait état de quelque 28 000 entreprises à céder dans le monde par les investisseurs. La proportion des sociétés détenues depuis plus de cinq ans, jalon souvent perçu comme la norme dans le private equity, aurait notamment crû de 18 % sur un an en 2023. Conséquence : le DPI moyen des millésimes 2015-2018 est 50 % plus faible que les vintages 2007-2014, chiffre Goldman Sachs. « Entre 2018 et 2021, il arrivait parfois que les fonds sortent 18 à 24 mois après avoir investi. Mais ce rythme était une anomalie », rappelle toutefois un investisseur. Quelque 225 participations françaises détenues de façon antérieure à 2019 par des fonds de LBO (hors investisseurs bancaires ou evergreen) ont, ainsi, été recensées par les bases de données CFNEWS (voir la liste complète ici). Parmi elles, une dizaine était déjà valorisée plus de 500 M€ lors de leur précédente opération. C'est par exemple le cas d'Expleo, groupe d'ingénierie détenu à plus de 60 % du fonds Buyout VI d'Ardian depuis 2017, qui devrait être remis sur le marché d'ici 2025. De même, le leader mondial des systèmes d'administration de médicaments Nemera, déjà valorisé plus d'1 Md€ lors de l'entrée à son capital d'Astorg en 2018, devrait reprendre la voie des process dans les prochains mois.
Si le Top 12 des opérations valorisées plus de 500 M€ avant 2019 est assez éclaté en termes de secteurs représentés, le tableau général comporte, lui, très peu d'occurrences en matière de services financiers, avec seulement huit entreprises identifiées, telles qu'Albingia, Entoria ou iQera. Symbole, peut-être, de l'intérêt des fonds pour ce secteur ces dernières années ou de la consolidation opérée par certains segments, en tête desquels figure celui de la gestion de patrimoine. De l'autre côté du spectre, pas moins de 23 sociétés (soit un dixième de l'échantillon total) évoluent dans le secteur des services à l'immobilier ou la construction. Une surpondération qui peut s'expliquer par la nécessité de transformer des actifs parfois fortement carbonés ou les effets de la crise immobilière sur les promoteurs. Parmi elles, notons le conseil en immobilier d'entreprise Arthur Loyd (chez Vespa Capital et LFPI), le promoteur European Homes, le groupe de diagnostic immobilier AC Environnement (soutenu par Abenex), le fabriquant d'éléments en béton préfabriqué Alkern (valorisé 140 M€ en 2016 par Chequers) ou encore Aquigen (dans lequel a investi LT Capital). Cette dernière est d'ailleurs représentative d'une forte présence du small cap, pourtant souvent perçu comme plus résilient. Plus d'une centaine de LBO antérieurs à 2019 valorisés moins de 50 M€ ont été recensés, dont ceux réalisés par l'éditeur de logiciels Olfeo, qui a accueilli I&F en 2017 ou L'Appart Fitness, en LBO avec Amundi PEF depuis 2018.
Un marché polarisé
Quels que soient les secteurs, « le pipe est dead », affirme un conseil de la Place faisant référence au mauvais current trading de nombreuses entreprises du fait de la baisse de la consommation. Julien Aucomte, partner chez August Debouzy, fait, lui, état d'un « flight to (semi-)quality » exacerbant l'allongement des durées de participations des fonds avec des actifs désormais trop chers : « Les GPs subissent une forte pression de la part de leurs LPs pour déployer leurs capitaux dans des entreprises de qualité, et en même temps il y a moins de dossiers. En conséquence, dès lors qu'un actif affiche tous les critères de beauté attendus par le marché, sa valorisation a de grandes chances de s'envoler ». Et si Argos faisait état d'un nombre record de deals valorisés moins de 7 fois l'Ebitda au premier trimestre, « personne n'a encore franchi le premier pas en acceptant de prendre sa perte, car cela reviendrait à crever la bulle du marché », observe encore un acteur du marché.
Les nouveaux enjeux de la dette
Contraints d'attendre des jours meilleurs, certains détenteurs de participations de long terme ont donc recours à des refinancements. Toujours investi dans six participations antérieures à 2019 (les découvrir ici), PAI Partners a par exemple revu la dette de Labeyrie à deux reprises. L'actif, dont il a acquis 45 % en 2014 et dont il souhaitait déjà se départir en 2019 pour 500 M€, a notamment contracté en 2021 un TLB de 455 M€ à échéance juillet 2026. Le groupe de sécurité électronique Anaveo, participation de Bridgepoint depuis 2015 a quant à lui réuni plus de 50 M€ de dette unitranche auprès de LGT et Bank of Ireland au début de l'année. De même, le spécialiste du rachat et de la gestion de créances iQera, qui avait été valorisé 400 M€ par BC Partners en 2017, a procédé à plusieurs refinancements. Notamment un partiel en 2021 avec 500 M€ de HY, quelques mois après un process avorté qui avait pourtant attiré Apollo, Towerbrook et CVC pour une valorisation attendue de l’ordre du milliard d’euros.
« Le dividend recap est un vrai sujet pour les beaux actifs »
La restructuration de la dette est parfois le moyen de faire remonter du cash aux actionnaires. C'est le cas d'Eurazeo, qui a remonté près de 30 M€ d'OC via un dividend recap mené sur Rosa, holding coiffant notamment Françoise Saget et Linvosges qu'il détient depuis 2016. Un process avait dans la foulée été lancé par Transactions & Compagnie, découlant sur la vente de Françoise Saget à Atlas For Men, qui évolue, lui, dans le giron de Motion EP. Prosol (Grand Frais), valorisé plus d'1,5 Md€ en 2017 par Ardian a lui aussi mené un dividend recap de quelque...1,4 Md€ en 2021, après avoir reçu des offres à plus de 3 Md€ jugées insuffisantes par son actionnaire. « Le dividend recap est un vrai sujet pour les beaux actifs », selon un financeur large cap, justifiant cette montée en puissance par la volonté des GPs de « faire de l'extraction de valeur, après l'expiration des protections structurées en 2022 ». Ce type d'opération ne se limite toutefois pas aux opérations sur les actifs de grosse taille : « Il est évident qu'il va y avoir une accélération des recaps sur les douze prochains mois », note la partner d'un fonds actif en dette privée small cap.
L'avènement des fonds de continuation
Dans ce contexte de sorties ralenties, et donc de liquidité moindre pour les LPs, les transactions secondaires « GP-led » (le fait qu'un fonds se revende une ou plusieurs participation(s) à travers un fonds de continuation faute de pouvoir continuer à accompagner l'actif avec le même véhicule) quittent leur statut de sujet tabou. 21 Invest a, ainsi, pleinement assumé de se revendre Productlife Group par ce biais, de même qu'Abenex a poursuivi sa route dans Europa Group ou Sagemcom qui a de nouveau signé avec Charterhouse à travers un fonds de continuation. « Le secondaire est désormais une option de sortie considérée par tous les fonds - quelle que soit leur taille -, au même titre que les sorties industrielles ou les cessions à d'autres investisseurs », exprime Gilles Morel, associé notamment en charge du secondaire chez Jasmin Capital. Quant aux actifs de moins bonne qualité (les « queues de portefeuille »), les transmissions à des fonds de secondaire apparaissent là aussi comme des solutions considérées.
Des process en cours
Malgré tout, les cessions par voie naturelle restent privilégiées par la plupart des acteurs. Parmi elles, figure Mademoiselle Desserts, groupe de pâtisserie industrielle surgelée valorisé autour de 320 M€ par IK Partners en 2018, soit huit fois ses 40 M€ d'Ebitda. Un agrégat qui aurait presque doublé depuis lors et qui permettrait au fonds d'origine nordique d'escompter une belle sortie sur l'année à venir, avec BNP Paribas aux manettes d'un nouveau process. De même, Seven2 serait selon plusieurs sources en passe de céder Europe Snacks (dont il est actionnaire depuis 2013 et qui a depuis lors septuplé de taille pour atteindre environ 650 M€ de ventes) avec l'appui de Lazard, potentiellement pour près d'1 Md€ à Platinum Equity Partners. Une première tentative de cession avait, pour mémoire, été activée en 2019 avant que les négociations ne soient avortées. Buffet Crampon serait aussi en voie de se rapprocher d'un nouvel actionnaire après douze ans (!) de détention par Trail Capital. La sortie de Latour Capital du spécialiste de l'analyse des risques pour les projets d'infrastructures Oxand, serait également imminente, d'après nos sources.
Ventes par appartements
Les process peuvent toutefois s'avérer parfois stériles. Pour un manque d'attractivité évident pour un secteur au vu de l'essor nouveau de l'ESG, comme celui dans lequel évolue Groupe Joa, spécialiste des casinos qu'envisageait de vendre Blackstone en 2022 pour 1,5 Md€. Ou alors pour une question de taille, comme Idemia, participation d'Advent qui avait tenté une première fois de se vendre... avant d'opter pour une cession par appartements. « L'actif est devenu bien trop gros pour pouvoir être repris par un seul fonds », note une source proche du dossier. Même chose pour TDF, qui a récemment vendu sa fibre à DIF Capital Partners ou encore pour Albéa - sous LBO depuis 2018 avec PAI, qui s'est délesté de plusieurs activités ces dernières années dont celles de conception auprès de Fremman Capital au printemps. Plutôt qu'un spin-off, le first-time fund avait pourtant initialement espéré une reprise totale du groupe, comme l'indiquait L'Informé, rapportant que le process face à Equistone avait échoué en raison de désaccord sur le prix, estimé entre 200 et 250 M€. Notons également Feu Vert, dont Alpha a souhaité se départir à plusieurs reprises, notamment en 2021. Un process qui serait aujourd'hui au point mort, alors que la DAF du groupe a récemment quitté le navire.
Un mouvement de renégociation de manpacks
Les postes de direction ne sont, d'ailleurs, pas épargnés par l'allongement des deals. D'aucuns peuvent se retrouver sur la sellette faute d'avoir délivré le plan de route escompté. D'autres peuvent voir leur rémunération variable drastiquement pénalisée. « Les périodes de crise, en impactant la performance opérationnelle des entreprises, ont généralement pour conséquence un allongement de la durée des deals et de nombreuses opérations ont vu leur management package se retrouver sous l’eau parce que les TRI étaient devenus intenables. Nous comprenons les exigences de rendement des LP’s mais l’un de nos principaux enjeux dans la négociation de management package a toujours été de les structurer – en tout ou en partie - en multiple », avance Benjamin Lobel, associé-fondateur du cabinet de conseil Coruscans, signalant la bienveillance des investisseurs financiers face à cette vague de renégociations. Si celles-ci représentent, pour les conseils, l’opportunité d’entrer en contact avec de nouvelles équipes de managers, « tout l’enjeu est de remettre à plat les incentives en utilisant 2023 ou 2024 comme référence et comme point de départ du calcul de la performance, et non pas la date et la valorisation à l’entrée du fonds », ajoute-t-il. Le cadre réglementaire pourrait, cependant, être amené à encore évoluer, en fonction du résultat des prochaines élections. « Jusqu'à présent, la fiscalité associée aux opérations répondait à un cadre très clair, notamment sur le plan des plus-values. Tout cela pourrait être remis en cause », assure un avocat, évoquant notamment la potentielle suppression (rétroactive au 1er janvier !) de la flat tax.
Incertitudes liées au contexte politique
Alors que la brusque remontée des taux d'intérêt avait déjà entaché les perspectives de sortie des fonds en 2023, il faut en effet désormais compter sur les incertitudes politiques liées à la dissolution de l'Assemblée nationale. De quoi couper net la relance sur laquelle tablaient les investisseurs en 2024. Avec même parfois des résonances hors des frontières. L'IPO de Golden Goose en Italie, escomptée par Permira et Carlyle a finalement été remise en cause par la chute des valeurs du luxe en Bourse post-dissolution, selon le FT, tandis qu'une « clause de résultat » se serait invitée dans certaines opérations, dont la cession potentielle de Biogaran. Après une potentielle paralysie due à cette phase d'incertitude, reste à savoir si le résultat des élections permettra de poser un cadre propice au redémarrage durable de la machine... « Une crise politique qui empêcherait une stratégie gouvernementale lisible et stable pourrait, à mon sens, être bien plus perturbante que celle du Covid. En effet, dans de nombreuses opérations impliquant l'Etat, se poserait notamment la question de savoir qui est désormais aux manettes », conclut Julien Aucomte.