Sur la centaine de sorties de LBO depuis le début de l'année, 40 % ont échu à des corporate. Analyse d'une évolution qui devrait se confirmer (et tableaux CFnews de tous les deals).
L'année 2011 sera, on le sait, marquée par deux temps : un premier semestre très dynamique, fortement soutenu par le retour de LBO y compris supérieurs à 500 M€ mais aussi par des cessions auprès des industriels. CFnews a déjà enregistré 96 sorties de fonds depuis le début de l'année 2011, dont 56 auprès d'autres fonds (LBO bis, ter...), un chiffre nettement supérieur aux 40 sorties enregistrées auprès d'acquéreurs i ndustriels (Télécharger les tableaux CFnews ci-dessous). « Si la part des acquéreurs industriels était forte pendant la crise - 61 % en volume en France à fin 2009 - elle a progressivement cédé le pas aux transmissions de fonds en fonds, qui représentent 63 % des transactions en France à mi-septembre 2011, indique Franck Portais (photo), managing director de Goetzpartners CF, conseil d' EOS Group dans la reprise de Credirec auprès de Capzanine, Axa PE et Eurazeo PME. Depuis le début de l'année, 64 % des transactions supérieures à 150 M€ étaient des opérations inter-fonds, contre 57 % en 2010 et 0 % en 2009 », poursuit le banquier d'affaires.
Les industriels repassent à l'offensive
Un rééquilibrage des forces entre industriels et fonds
Et cela se comprend : « Au cours des douze derniers mois, les fonds de private equity ont été souvent plus compétitifs que les industriels, tant en terme de prix offert que de rapidité d'exécution. En s'appuyant sur leur connaissance des actifs et un environnement bancaire favorable, ils ont ainsi pu préempter un grand nombre de dossiers - Lire l'enquête : LBO-Managers: la préemptive change la donne (28 juin 2011), rappelle Jean-Baptiste Marchand (photo), managing director chez Leonardo CF, qui avec ses associés a conseillé de nombreuses opérations de LBO cette année (Interflora, Karavel Promovacances, Mecatherm, Saverglass ou encore Trigo). Mais la crise des dettes souveraines européennes ont brutalement refermé la fenêtre de tir qui s'était ouverte entre septembre 2010 et août 2011, dégradant fortement les conditions de financement, ce qui pourrait mettre un coup d'arrêt aux reprises des cessions entre fonds, et faire revenir les corporate sur le devant de la scène. « Depuis la rentrée, on perçoit un rééquilibrage des forces en présence entre les industriels et les fonds. On observe ainsi une plus forte compétition entre ces deux types d'intervenants dans les processus de cession en cours », constate Jean-Baptiste Marchand.
Douze deals supérieurs à 100 M€ captés par les corporate
Déjà, depuis le début de l'année, 40 LBO ont trouvé leur sortie auprès d'industriels. Parmi eux, douze ont ont franchi la barre des 100 M€ de valorisation (voir le Tableau des sorties de LBO auprès d'industriels (du 01/01/11 au 30/09/11), dont deux sociétés françaises qui ont dépassé le seuil du milliard d'euros en rejoignant des groupes américains. La très attendue cession des 50 % de PAI Partners dans Yoplait est finalement revenue à General Mills qui en a offert 800 M€, valorisant la marque à la petite fleur 1,6 Md€ soit 11 fois son Ebitda. Provimi, le spécialiste néerlandais de l'alimentation animale, propriété de Permira depuis 2007, a quant à lui rejoint le géant américain de l'agroalimentaire Cargill, qui l'a valorisé 1,5 Md€. La société avait aussi attiré les convoitises en juin dernier de deux de ses compatriotes - le spécialiste coté de la santé et la nutrition DSM, et l'acteur de la nutrition animale et pour poissons Nutreco - ainsi que celle du chinois New Hope. Souriau, l’un des fleurons de l’industrie française dans la connectique, détenu depuis 2005 par Sagard, s'est quant à lui envolé auprès de l'équipementier aéronautique américain Esterline pour 491 M€, soit plus de 11 fois l'Ebitda. Un choix du management d'adosser leur société à un autre groupe.
Les industriels prêts à payer une prime stratégique
Selon Michel Degryck, associé fondateur de Capital Partner, qui a récemment conseillé CM-CIC Capital Privé lors de sa sortie de Syntesys au profit du géant américain Sungard, lequel aurait payé, selon nos sources, "plusieurs fois le chiffre d'affaires" : « Certains dossiers sont repartis en LBO parce qu'ils n'ont pas été mis aux enchères. Mais si cela avait été le cas, les industriels l'auraient sûrement emporté. » Cela aurait notamment pu être le cas, selon nos sources, pour Carso et Trigo. Parmi les opérations qui ont trouvé preneurs auprès d'industriels, certaines sont parties au prix fort. C'est le cas par exemple de Prosodie : Capgemini a versé 382 M€, soit 10,3 fois l'Ebitda, à son propriétaire Apax Partners. On retiendra également Kwik-Fit repris par le japonais Itochu pour 744 M€ ou encore Vizada préempté par Astrium, filiale d'EADS qui a versé 673 M€. De même, Biomérieux n'a pas hésité à mettre 183 M€ sur la table pour mettre la main sur AES Laboratoire et devenir le n°1 mondial des applications agroalimentaires, un prix reflétant une prime à la hauteur de la valeur stratégique de la cible qui génère un chiffre d’affaires annuel de 76 M€.
Toutes les conditions sont réunies pour que les industriels soient plus agressifs
Ils disposent d'importantes réserves de cash
Et cette tendance devrait se poursuivre. Il faut dire que malgré un recul des transactions enregistré au troisième trimestre en raison des conditions macroéconomiques, les entreprises n'ont pas encore été impactées par le resserrement du crédit en Europe. Elles disposent même de réserves de cash conséquentes, accumulées durant la crise. Elles pourraient donc se montrer plus agressives et reprendre la main lors des enchères. Pour Gonzague de Blignières (photo), cela ne fait aucun doute : « Le terrain devient plus favorable aux grands groupes, qui cherchent des relais de croissance pour compenser le tarissement de leur développement interne. De plus en plus de sociétés sous LBO devraient ainsi rejoindre des industriels dans les mois à venir. Ces derniers, pour des raisons stratégiques, sont prêts à prendre des risques que ne prennent pas les fonds, et parfois à payer une prime stratégique importante », ajoute le président de Barclays Private Equity, qui a pu le savourer dans deux cas cette année, lors d'approche directe par des industriels : GE dans la cession de Converteam (un record à 2,5 Md€), et Cooper Industries dans celle de Martek Power (150 M€).
Les corporate peuvent aussi bénéficier de leviers financiers
Outre leur trésorerie abondante, les sociétés peuvent en plus, également, avoir recours aux leviers financiers. « Les ETI ont souvent tendance à négliger l’effet de levier lors du financement de leurs acquisitions, soit par crainte de trop alourdir leur bilan, soit considérant que les montages de type LBO sont l’apanage des investisseurs financiers. C’est dommage car la mécanique du LBO permet de s’adapter à un très grand nombre de cas d’acquisitions », note Pierre Dropsy (photo), directeur chez Aelios - M&A International, qui a récemment conseillé Valindus dans le rachat de son concurrent italien AluK, par le biais d'un LMBO sponsorless avec un levier de 2,5 fois l'Ebitda. « Proposer de réaliser cette opération sous forme de LBO est plutôt original quand le sponsor est un industriel, mais cela a grandement facilité le rapprochement entre les parties et a également eu le mérite de rendre la recherche de financement bancaire plus aisée. L'acquéreur a reçu quatre offres d'arrangeurs bancaires prêts à financer la totalité de la dette. »
Ils devraient profiter de la baisse des valorisations
Dans un environnement moins concurrentiel, les industriels pourraient en outre profiter d'une baisse mécanique des valorisations, qui avaient retrouvé leur niveau d'avant crise, tirées par l'appétit des fonds de LBO. En effet, les entreprises moyennes non cotées de la zone euro ont été payées en moyenne 7,2 fois leur Ebitda au premier semestre 2011, selon le dernier Indice Argos Mid-Market, tandis que les opérations LBO se sont traitées autour de 7,6 fois l'Ebitda sur la période. Les fonds ont en moyenne payé leurs acquisitions 10 % plu s cher que les acquéreurs stratégiques sur le premier semestre, mais cette tendance pourrait bien s'inverser au cours des prochains mois sur le marché du private equity. « Mais sur les marchés, même si les valorisations boursières ont beaucoup baissé, il ne va pas y avoir pour autant une accélération des retraits de cote, affirme Virginie Lazès (photo), managing director chez Bryan Garnier, rappelant que la plupart des dirigeants refusent de vendre leurs sociétés à la casse. Pour preuve, les derniers retraits de cote ont été effectués sur la base de valorisations très raisonnables, avec une prime de 71,3 % pour Novagali, avalé par le japonais Santen Pharmaceutical, ou de 62 % pour eFront, repris par Francisco Partners auprès de CDC Innovation. »
Mais restent très sélectifs
Par ailleurs, les corporate restent prudents dans l'environnement actuel, très volatil. « Il existe une vraie méfiance chez les industriels par rapport aux sociétés passées plusieurs fois sous LBO. Ce sont en effet souvent des modèles déjà optimisés, extrêmement rentables, donc qui se paient cher, mais sur lesquels il reste peu de marges de progression. Par ailleurs, le marché est beaucoup plus sélectif qu'il y a trois ou quatre ans et seuls se font les bons dossiers, qui offrent de la visibilité. Dans le marché actuel, les dossiers de qualité moyenne ont beaucoup de difficultés à aboutir, nuance Michel Degryck (photo). Depuis le mois d'août certains groupes ont même décidé de stopper toute décision à l'achat. Et ceux qui veulent poursuivre leurs acquisitions vont de plus en plus aller vers les pays émergents. »
De plus en plus de dual track entre fonds et corporate
Un marché du crédit resserré mais pas refermé
Tout cela ne veut pas dire que les LBO bis et ter n'auront plus leur place dans le paysage du M&A. Certes, depuis cet été plusieurs opérations ont été reportées, comme la médiatique vente de Redcats, la filiale de vente par correspondance de PPR (La Redoute, Cyrillus, Verbaudet...), qui intéressait entre autres TPG et PAI. En cause : « Le coût du crédit a brusquement augmenté en l'espace de quelques semaines et l’indice iTraxx Xover, qui en est une bonne mesure, a augmenté de près de 400 points de base entre juillet et septembre, affirmait Céline Méchain (photo), managing director chez Goldman Sachs, lors d'une présentation à la presse le 29 septembre dernier. Mais si les opérations de LBO sont de ce fait plus chères et plus compliquées à financer, le marché du crédit ne s'est cependant pas totalement refermé. Aujourd'hui, nous traversons plus une crise de confiance qu'une crise technique. » En effet, la banque ne table pas sur une récession aussi profonde qu'en 2008-2009, et anticipe une croissance de 1,6 % pour 2011 et de 0,1% pour 2012 (contre un recul de 5,3 % du PIB en 2009) pour la zone euro. Même optimisme mesuré pour Jérôme de Metz (photo), président de MBO Partenaires, qui se concentre sur des entreprises évaluées entre 5 et 75 M€. « Pour l'heure nous n'observons pas de rupture dans les négociations et nous continuons à être financés par les banques », constate et a réalisé depuis le début de l'année quatre sorties auprès de corporate (Aura Group, Défi Viandes, Est Auction et Kawan Group) et deux auprès de fonds de LBO (Antemeta et Serma Technologies).
Les fonds vont revoir leur stratégie vers du gros cap-dev ou du build-up
Le contexte actuel devrait donc surtout pénaliser les grosses opérations. « Depuis la rentrée, il est très difficile de trouver des financements en France pour les opérations de LBO comprenant une dette supérieure à 50 M€. Les transactions de taille moyenne, incluant une dette comprise entre 50 et 200 M€, vont devenir l'apanage des industriels », estiment Philippe Croppi (à gauche) et Philippe Guézenec (à droite), managing directors d'Easton Corporate Finance, qui viennent de conseiller le LBO quaternaire de Savena (155 M€) auprès d'IK Investment Partners. Les fonds vont donc devoir revoir leur stratégie. « Deux chantiers s'offrent à eux. Etant donné les difficultés de financement pour monter des LBO primaires, les fonds pourraient se rabattre sur des opérations de build-up. D'autre part, les acteurs du private equity qui avaient l'habitude d'être majoritaires ou co-majoritaires pourraient désormais se tourner plutôt vers de gros tickets minoritaires, entre 50 et 200 M€ d'equity, en particulier pour accompagner des projets de croissance interne ou externe », poursuivent les deux banquiers d'affaires. Mais face à la pénurie de dette, en particulier du high yield et des CLO ( Collateralized Loan Obligation, utilisés pour syndiquer les plus grosses transactions LBO), certains fonds se tournent de plus en plus vers l'alternative de la dette privée ( unitranche, mezzanine ou second lien) - Lire l'enquête : Financement des LBO : une rentrée à tâtons (6 septembre 2011).
Des cessions en cours disputées
Résultat de cette nouvelle donne : certains dossiers, initiés avant l'été, ne sont pas encore sûrs de trouver preneurs. C'est notamment le cas de Siem Supranite, une participation d'OFI PE qui était, selon nos informations, un temps en exclusivité avec Morgan Stanley PE, lequel aurait finalement lâché prise. Mais c'est aussi la question pour Feu Vert, participation de Qualium qui aurait aussi récemment, selon nos sources, confié un mandat à Bryan Garnier pour céder le site de vente d'ustensiles de cuisine Mathon, qui peut clairement intéresser aussi les industriels du fait de son profil "internet". La banque finalise aussi, selon nos sources, la cession de l'éditeur Lefebvre Software, qui, selon nos informations, devrait repartir en MBO avec CIC LBO Partners, mais pour lequel des corporate ont fait une offre, certes moins attractive que le financier qui la valorise 60 M€ (lire le confidentiel Lefebvre Software va signer un MBO avec... (28 septembre 2011). Parmi les opérations plus certaines d'aboutir, la belle pépite Homair Vacances, dans le giron de Montefiore depuis 2004, est très courtisée. Affichant une croissance de son Ebitda de 20-25 % par an, cet acteur de la location de mobil-home, dont la cession est confiée à Easton CF, a le vent en poupe. Valorisée autour de 200 M€ (10 fois l'Ebitda), il intéresserait PAI Partners ainsi qu'un industriel. De même, Unither, sous LBO avec ING Parcom PE, qui a confié le mandat de vente à Aforge Finance, ne devrait pas avoir de difficultés à trouver preneur. Pour ces deux derniers cas, les acquéreurs pourraient avoir recours à de la dette unitranche (sur le modèle de Courtepaille ou Gerflor). Pour Tokheim, abrité chez Cognetas depuis 2005, là aussi deux options possibles. JP Morgan, aux commandes, saura faire jouer les enchères dans un environnement où les sociétés sachant résister à la crise sont plus que courtisées. Après tout dépendra du prix offert.
Télécharger les tableaux CFnews en pdf :
Tableau des sorties de LBO auprès de fonds LBO (du 01/01/11 au 30/09/11)
Tableau des sorties de LBO auprès d'industriels (du 01/01/11 au 30/09/11)
Lire aussi :
Financement des LBO : une rentrée à tâtons (6 septembre 2011)