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Le pari foot des investisseurs pour faire recette

Droits de retransmission télé, ventes de joueurs, potentiel de sponsoring : à l’occasion d’une enquête estivale, CFNEWS analyse les facteurs qui contribuent à façonner la valorisation de l’industrie du football, dont le multiple moyen est compris entre 1 et 2 fois le chiffre d’affaires.

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© Adobe Stock

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Le changement de nature des actionnaires des clubs de football (lire l'enquête « Les financiers investissent le-terrain du foot ») n'est pas resté sans impact sur le business model des acteurs de l'industrie. Les investisseurs cherchent en effet à positionner leurs actifs sur des nouvelles dimensions commerciales, tout en activant d’autres leviers comme le trading de joueurs. Sur les dix dernières années, la vente de jeunes footballeurs a permis à l’Hexagone d’afficher une balance des transferts positive de 344 M€ pour les pensionnaires de Ligue 1, selon le site spécialisé Transfermarkt. Ce chiffre serait supérieur à 1 Md€ sans les - 915 M€ imputables aux seules dépenses du PSG sur la période. « Le modèle économique des clubs de Ligue 1 est équilibré par la vente des joueurs, confirmait Joseph Oughourlian, actionnaire du RC Lens, lors de l’entrée de Side Invest au capital de son club. Nous sommes un des pays dans le monde qui produit le plus de talents dans ce sport, avec un vrai vivier et savoir-faire qui nous place durablement dans le top 3 mondial. » 

Trading et multipropriété

Olivier Jarrousse, UI Investissement

Olivier Jarrousse, UI Investissement

Ces recettes, dites de « mutation », ont représenté 22 % des produits des clubs professionnels l’an dernier, selon la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion - voir infographie ci dessous). Le trading est un tel enjeu, qu'il pousse certains investisseurs à constituer des empires. « La multipropriété est comparable à un corporate d’un secteur traditionnel qui utilise le levier du M&A pour générer des synergies, définit Jean-Philippe Bescond, associé-gérant de Lazard. Dans le sport, cela permet de gérer plus facilement l’actif joueur, d’être attractif dans le recrutement, d’avoir des passerelles dans la formation… » Ainsi, plusieurs écuries françaises sont devenues la cible d’actionnaires détenant déjà des équipes dans d’autres pays, comme Strasbourg qui est tombé dans l’escarcelle de BlueCo. Ce consortium réunissant plusieurs hommes d’affaires et Clearlake Capital et aussi à la tête de Chelsea. De même, Toulouse appartient à RedBirdqui détient le Milan AC. Malgré cette stratégie, le résultat net des clubs de Ligue 1 et Ligue 2 est encore largement négatif (- 281 M€ à fin juin 2023). « Le trading, qui peut être soutenu par la formation, est au cœur de plusieurs modèles économiques. Il est toutefois soumis à une évolution du football, avec la prise en mains par les joueurs de leur destinée financière, observe Olivier Jarrousse, associé-gérant d'UI Investissement et membre de la DNCG. Des joueurs plus nombreux vont au bout de leur contrat et partent libres, le meilleur joueur français en est un exemple. Cette pratique génère une insécurité financière pour un club qui aurait choisi un business model trop dépendant du trading. »  Pour Lorient par exemple, en 2022-2023, les résultats des opérations de mutation se sont établis à 32,7 M€, soit plus de 40 % de ses revenus totaux.  

Répartition des produits des clubs de Ligue 1 © CFNEWS.net

Répartition des produits des clubs de Ligue 1 © CFNEWS.net

L’impact financier de l’aléa du sport

Si certains clubs basent leur modèle économique sur la vente de joueurs, d’autres font, a contrario, de l’investissement dans les joueurs le centre de leur stratégie. Ce déséquilibre financier doit être compensé par les recettes générées par les performances sportives : dotations financières liées aux compétitions, hausse des droits TV, monétisation de l’audience via du sponsoring… Mais l’aléa du sport peut coûter cher. Sur la saison 2022 - 2023, les simples droits de retransmission des compétitions continentales ont respectivement représenté 12,5 % et près de 20 % du chiffre d’affaires du PSG et de l’OM. L'absence de ces revenus peut pousser à la vente des meilleurs joueurs, ou à une recapitalisation de l'actionnaire. Un risque d’autant plus important qu’il y a plus d’équipes intégrant dans leur budget une qualification européenne que de places en jeu. Et même ces clubs ambitieux peuvent se trouver impactés par le changement de paradigme sur les transferts. Le départ gratuit de Kylian Mbappé du PSG au profit du Real de Madrid cet été (malgré une valorisation estimée à 180 M€) est ainsi préjudiciable pour les finances du club de la capitale, contraint, comme toutes les autres équipes, d’afficher un certain équilibre de ses comptes pour respecter la règle de fair play financier mise en place par l’UEFA. Si un accident reste possible, les résultats sportifs restent toutefois corrélés dans le temps au niveau d'investissement des clubs. Sur les cinq saisons entre 2019 et 2023, aucune équipe avec une masse salariale inférieure à 80 M€ n’a été reléguée et seulement 3 % de celles avec cet indicateur compris entre 40 M€ et 80 M€, alors que 26 % de celles sous ce seuil ont quitté l’élite, selon l’analyse de la DNCG. 

Répartition des charges des clubs de Ligue 1 © CFNEWS.net

Répartition des charges des clubs de Ligue 1 © CFNEWS.net

Crise liée aux droits de retransmission ?

Jason Schretter, Raine

Jason Schretter, Raine

Outre le risque d'aléa sportif, les actionnaires doivent également être attentifs aux droits de retransmission. Négociés directement par les ligues professionnelles, ils constituent le premier poste de recettes des clubs de Ligue 1 (voir infographie plus haut). En 2022-2023, la diffusion des matchs à la télévision représentait 23,5 % du chiffre d’affaires des clubs. Au cours des deux dernières décennies, le « produit » Ligue 1 s’est apprécié aux yeux des diffuseurs, passant de 325 M€ par an payés par Canal+ et TPS sur la période 2001 – 2004 au record de 1,15 Md€ par saison attribué pour la période 2020 – 2024 à Mediapro, BeIN Sports (associé à Canal +) et Free. Mais Mediapro n’est jamais parvenu à atteindre son objectif d’abonnés en France, la crise du covid-19 entraînant un arrêt prématuré du championnat et la fermeture des stades, assénant ainsi un coup fatal au diffuseur, qui avait pourtant décroché le premier lot moyennant 830 M€ par an. C’est Amazon qui l’a relayé contre une offre bien moins avantageuse faisant tomber l’ensemble des recettes annuelles à 680 M€. Pire, l’appel d’offres lancé en novembre dernier par la Ligue de Football Professionnel (LFP) pour le prochain cycle de droits de retransmission (2024-2029) du foot hexagonal n’a pas trouvé preneur. Ce sont donc des négociations de gré à gré qui ont été engagées et les - probables - gagnants, DAZN et BeIN Sports, n’offrent qu’environ 500 M€. « Il y a un cercle vicieux ou vertueux autour des droits de retransmission, éclaire Jason Schretter, associé de la banque d'affaires spécialisée Raine. Plus ils sont élevés, plus on peut attirer des bons joueurs et donc créer du spectacle et attirer des fans, et ainsi mieux valoriser les droits. A contrario, la difficulté de vendre des droits se répercute avec des joueurs qui partent pour être mieux payés ailleurs et donc un niveau qui baisse dans un cercle vicieux qui peut être difficile à enrayer. » D’autant que l’écart va se creuser avec les quatre premiers championnats européens (Angleterre, Espagne, Allemagne et Italie), dont la diffusion domestique est valorisée entre 900 M€ et 1,8 Md€ pour la saison à venir. 

Valorisation de 1 à 2 fois le chiffre d’affaires

Hubert Tuillier, KPMG Corporate Finance

Hubert Tuillier, KPMG Corporate Finance

Cette baisse – durable ou passagère - des ressources des écuries de Ligue 1 n'est pas sans conséquence sur leur valorisation. Dans le sport professionnel, a fortiori le football, les investisseurs ne raisonnent pas en multiple d’Ebitda, contrairement à la plupart des autres secteurs. « Il existe plusieurs méthodes pour valoriser un club, introduit Hubert Tuillier, associate director Sport Advisory de KPMG CF. Il y a évidemment la méthode des multiples comparables transactionnels et/ou boursiers, l’actif net réévalué ou encore la formule des « multivariate », de Tom Markham, que l’on a vu utilisée surtout sur quelques ventes de clubs anglais. La plus courante est celle des comparables transactionnels sur le chiffre d’affaires hors trading. La moyenne est majoritairement comprise entre 1 et 2 fois le chiffre d’affaires avec comme principe : plus un club a des recettes stables dans le temps et une faible chance de relégation, plus le multiple est élevé, et vice versa. » Mais encore une fois, le football se distingue des autres secteurs plus traditionnels. Alors qu’il est habituellement possible de définir des fourchettes relativement resserrées, dans le ballon rond, les écarts peuvent être d’un facteur quatre ou cinq. Ainsi, les valorisations des revenus hors mutation ont été de 1 fois pour le RC Strasbourg, 1,25 fois pour l’AS Saint-Etienne et 1,8 fois pour le RC Lens. Mais à ces opérations « dans les clous », s’ajoutent des transactions hors normes, comme l’entrée d’Arctos Partners au PSG pour plus de cinq fois son chiffre d’affaires ou l’OPA d’Eagle Football sur l’OL pour un multiple supérieur à quatre fois les recettes. « L’appréciation du multiple final dépend beaucoup de la ligue dans laquelle le club évolue, des infrastructures, des joueurs ainsi que de la valeur intangible de la marque », explique le partner de Raine. Manchester United, quatrième marque du foot au monde estimée à 1,36 Md€ en 2023, selon le classement Brand Finance Football, a été valorisé « seulement » deux fois revenus lors de l'acquisition de 25 % de son capital par le milliardaire Jim Ratcliff (aussi propriétaire de l’OGC Nice). Mais son investissement est allé de pair avec une augmentation de capital valorisant cette fois les red devils plus de 8 fois son chiffre d’affaires

Des actifs sur le marché

Un « double prix » relativement courant dans le football, car la valeur d’une écurie s’estime au regard des investissements consentis afin de rendre l’équipe compétitive. Loïc Fery avait par exemple cédé 40 % des parts du FC Lorient à BKFE pour 10 M€, soit une valeur des titres de 25 M€, mais le gérant américain aurait ensuite injecté du cash additionnel sur la base d’une valorisation quatre fois supérieure. « Le football ressemble au marché de l'art, avec un prix qui ne s'explique parfois pas rationnellement », glisse un banquier.  C'est là la rançon de la gloire du sport le plus populaire au monde. La finale de la coupe du monde 2022 a réuni 1,5 milliard de téléspectateurs, selon une étude de la FIFA. Ce pouvoir d’attraction devrait continuer à faire graviter les investisseurs. Milliardaires, fonds spécialisés ou fonds souverains… Après le Qatar au PSG, l’arrivée de l’Arabie Saoudite est souvent annoncée, potentiellement du côté l’AS Monaco où l’actionnaire russe Dmitri Rybolovlev a mandaté Raine pour lui trouver un successeur. Le Red Star FC, le second club de la capitale récemment promu en deuxième division, actuellement détenu par le 777 Partners est aussi en vente. Des bruits de marché font état d’offres émanant d’entrepreneurs associés à des fonds américains. Les rumeurs envoyaient aussi souvent la CMA CGM au capital de l’OM, mais cette piste ne serait pas d’actualité, selon nos informations. D’autres actifs tricolores pourraient prochainement changer de main, comme les Girondins de Bordeaux, en proie à des difficultés financières ou encore le LOSC (Lille), racheté à la casse par Merlyn Advisors. Des rumeurs de vente entourent aussi le FC Nantes, propriété de Waldemar Kita, qui a récemment cédé les laboratoires Vivacy à Bridgepoint pour 900 M€. Faites vos jeux, rien ne va plus.

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LAZARD
Jean-Philippe Bescond
UI INVESTISSEMENT
Olivier Jarrousse
THE RAINE GROUP
Jason Schretter
KPMG CORPORATE FINANCE
Hubert Tuillier

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