Paris capitale mondiale du sport. La ville lumière accueille à partir du 26 juillet la 33ème édition des Jeux olympiques, événement incontournable pour tous les athlètes et fans de sport. Mais plus qu’une fête qui doit réunir 13 millions de spectateurs, les JO représentent un enjeu financier colossal. Le budget de ces olympiades s’élève à 8,8 Md€, selon des derniers décomptes de l’exécutif. Une somme qui doit permettre de booster l’image de la France auprès des quatre milliards de téléspectateurs attendus durant les semaines de compétition. L’objectif est aussi de dynamiser l’économie avec des retombées espérées entre 6,7 Md€ et 11,1 Md€, selon les estimations des organisateurs. Le secteur de l’hospitalité est en première ligne pour toucher le jackpot. Mais l’industrie du sport espère aussi profiter de ce grand raout. C’est par exemple le cas du Coq Sportif, marque de prêt-à-porter accompagnée par le fonds Mirabaud Patrimoine Vivant depuis 2019 et équipementier officiel des athlètes tricolores. Le fabricant de matériels de sport Metalu Plast avait aussi tablé sur une montée en puissance de son activité en lien avec les JO pour appâter Esfin Gestion et Unexo pour son troisième LBO, en 2022. Mais les jeux ne sont pas l’exception, ils sont plutôt le révélateur de ces liens entre sport et finance. Sous l’impulsion de trois ministères (économie, sport et affaires étrangères) la filière a récemment été redynamisée avec cinq axes majeurs dont « l’accompagnement à la consolidation des modèles économiques du sport » qui vise à « professionnaliser le mouvement sportif et engager une réflexion sur les modes de financement innovants », selon les termes du gouvernement. « Les pouvoirs publics soutiennent de plus en plus les entreprises du secteur sportif notamment dans le cadre du développement de la pratique et du rayonnement de la France à l’international », confirme Hubert Tuillier, associate director Sports Advisory de KPMG Corporate Finance.
Plus de 20 deals dans le sport en 2023
Et l’enjeu est de taille car l’économie du sport en France fédérerait 128 000 sociétés pour 71 Md€ de chiffre d’affaires et 450 000 emplois, soit 2,6 % du PIB tricolore, selon BPCE. « Nous avons fait le constat qu’il y a peu d’acteurs spécialisés dans le sport, alors que ce secteur est global, résilient et avec une croissance annuelle moyenne de 7 %, expose Mofses Kechichian, directeur chez Trail, qui a lancé un fonds le fonds dédié, SLAM. Cette filière est très profonde, avec un important vivier de PME et ETI dans les infrastructures sportives, la nutrition, l’équipement, le numérique ou encore la distribution en France et en Europe. » L’industrie du sport coche donc toutes les cases pour attirer les investisseurs. Et ils affluent. Sur les trois dernières années, il y a eu en moyenne 20,6 deals de capital développement et LBO ciblant des sociétés françaises du secteur selon les données CFNEWS, contre 6 en moyenne sur les trois années précédentes et 5 de 2015 à 2017. La dynamique se poursuit avec déjà 10 transactions signées sur les six premiers mois de 2024, dont l’OBO primaire orchestré par l’IDI sur Natural Grass, un acteur des pelouses hybrides pour les terrains de foot et rugby. Le deuxième semestre s’amorce aussi bien sous l’impulsion de Players, le réseau de foot à cinq et padel valorisé entre 80 M€ et 100 M€ par Vendis Capital. Mais l’hétérogénéité de la filière rend complexe la définition d’un niveau de valorisation médian. « Les multiples observés ces dernières années tournent autour de 5 à 6 fois l’Ebitda pour les fabricants d’équipements sportifs, de 10 à 11x pour certains loisirs marchands à la mode, 8x dans la sportech », estime Hubert Tuillier. Au-delà de la croissance embarquée par le secteur, estimée à 6,6 % pour les années à venir d’après une étude de PwC, d’autres leviers peuvent être activés pour « performer ». « Les PME et ETI du secteur sont souvent créées et dirigées par des sportifs ou des passionnées, avance Mofses Kechichian. Au-delà des problématiques de transmission, ces entrepreneurs ont un réel besoin d’accompagnement et de professionnalisation de la gestion. » Trail Capital a notamment été confronté à cette situation le cadre de son investissement dans AresMMA, groupe parisien d’arts martiaux mixtes fondé par des pionniers de la discipline Benjamin Sarfati et Fernand-Lopez. Le judoka triple médaillé d’or aux jeux olympiques Teddy Riner ou encore l’ex joueur de rugby Thierry Dusautoir se sont aussi lancés dans l’entrepreneuriat, respectivement via Fightart et MS Innovation.
Sport pro, un marché qui déchaîne les passions
Au-delà de leur casquette de chef d’entreprise, les sportifs professionnels sont souvent le trait d’union entre les mondes de l’investissement et du sport, comme éclaire l’enquête Capital-innovation : Les sportifs français entrent dans la mêlée. Les fonds rendent la pareille en offrant au sport professionnel une place d’exception. Ainsi, parmi les opérations les plus importantes signées par des investisseurs en France entre janvier 2023 et juin 2024, plus de 40 % ciblent des clubs de football (voir infographie ci dessous). Le ballon rond cristallise une partie des investissements, mais miser dans ce type d’actif n’est pas à la portée de tous (focus à retrouver demain une deuxième partie d’enquête). Alors les fonds s’attaquent aux ligues, fédérations ou d’autres types d’organisations sportives. C’est ainsi que CVC Capital Partners s’est engouffré sur ce segment. Le fonds paneuropéen a notamment fait parler de lui en France en misant 1,5 Md€ dans la société commerciale de la Ligue de football professionnel (LFP), dans le cadre d’une transaction nouée sur une valorisation de 11,5 Md€. Il a aussi mené une opération comparable de l’autre côté des Pyrénées en s’emparant de 10 % de LaLiga contre près de 2 Md€.
« Il y a de plus en plus d’investisseurs de types fonds d’investissement dans le sport professionnel, avec des équipes dédiées plus expérimentées autour des facteurs clefs de succès des clubs : digital/fan experience, immobilier, data performance, souligne le directeur de KPMG Corporate Finance. Ces dernières années, les opérations en France se sont principalement concentrées dans le foot, mais nous voyons des dossiers émerger dans d’autres sports collectifs comme le basket et le rugby. » Dans le monde de l’ovalie, CVC a débloqué une enveloppe de plus de 400 M€ en 2021 pour s’emparer de près de 15 % de l’emblématique Tournoi des six nations. Le GP américain Silver Lake a misé, un an plus tard, plus de 100 M€ pour détenir 10 % de la société propriétaire des droits d’image des All Blacks, l’équipe néo-zélandaise. En France, Montefiore Investment a mobilisé 10 M€ pour GL Events Sports, la filiale du groupe d’événementiel propriétaire du Lou, le club de rugby lyonnais, en 2021. CVC a aussi investi le terrain du tennis, en injectant quelque 140 M€ l’an dernier dans le circuit féminin WTA. Il s’est également intéressé au volley-ball, comme en témoigne une participation minoritaire dans Volleyball World en 2021, une co-entreprise contrôlée par la fédération internationale de volley. De son côté, le Public Investment Fund (PIF), le fonds souverain saoudien, a appuyé financièrement la création de LIV Golf, le tournoi concurrent de l’américain PGA Tour.
L’audience, le carburant des fonds
« Depuis notre création il y a 15 ans, nous avons vu le niveau d’activité exploser, avec de plus en plus de deals et une dynamique renforcée par le covid, qui a montré la place du sport dans la société », constate Jason Schretter, associé de la banque d’affaires spécialisée Raine. Si la dynamique accélère, le mouvement résulte, lui, d’investissements initiés il y a deux décennies et couronnés de succès. CVC – qui n’a pas souhaité répondre à nos questions -, fait partie de ces précurseurs. Le fonds paneuropéen s’était emparé de MotoGP, l’organisateur mondial de compétitions moto, en 1998, avant de le revendre huit ans plus tard près de 10 fois plus cher, autour de 500 M€, à Bridgepoint, Ce dernier a récemment signé la cession de sa participation dans cette société à Liberty Media sur la base d’une valeur d’entreprise de 4,2 Md€. CVC bénéficie aussi de l’expérience dans la formule 1, avec ses onze années à la tête de Formula One, qu’il a revendu 8 Md$ à… Liberty Media, en 2016. Des cessions à un grand groupe de média qui n’ont rien de surprenantes. « Pour intéresser les investisseurs, le sujet clé est de parvenir à attirer une masse critique et régulière de consommateurs, explique Jean-Philippe Bescond, associé-gérant de Lazard. Le travail mené par CVC à la tête de la Formule 1 a été remarquable. » Jason Schretter embraye : « Ils sont parvenus à professionnaliser la Formule 1, en pariant sur le contenu, cette popularité s’illustre notamment par la série Netflix sur le sujet. Ils ont créé une marque forte et mondiale, là où ce sport était jusque-là surtout prisé des européens passionnés de mécanique. » La discipline rendue populaire par des pilotes de la trempe d’Ayrton Senna et Michael Schumacher serait aujourd’hui suivie par 1,5 milliard de téléspectateurs, contre 450 millions en 2013. « Le paysage audiovisuel se dissout, avec une perte de l’attention des jeunes publics qui sont habitués à une consommation en streaming, poursuit Jean-Philippe Bescond. Le sport reste l’un des seuls contenus qui permet de réunir plusieurs millions de personnes à heure fixe avec un profil bien identifié. »
E-sport, la prochaine vague ?
Cette convergence entre sport et média a d’ailleurs été identifiée très tôt par Bridgepoint. Le fonds britannique avait pris possession d’Infront en 2011, société suisse alors à la tête des droits de retransmission des coupes du monde de football. Après avoir noué des partenariats avec d’autres fédérations, dont les principales des sports d’hiver, il a revendu cette entreprise en 2015 au chinois Dalian Wanda Group pour plus de 1 Md€, soit deux fois le prix d’achat. Une proximité entre ces deux mondes aussi exploitée par Silver Lake. Le GP américain a investi dans la société de média et agent sportif Endeavor en 2012, avant de s’emparer de l’UFC, une ligue spécialisée dans les sports de combat, en 2016 puis de fusionner cet ensemble à l’organisateur de compétitions de catch WWE dans le cadre d’un deal de plus de 12 Md$. Si le sport professionnel fait un pas vers le monde des médias, l’inverse est aussi vrai. Les jeux vidéo passent ainsi de multimédia à discipline sportive. La pratique reprend tous les codes du sport professionnel (athlètes starisés, compétitions internationales, diffusion en direct…). La notion de performance sportive peut être débattue, mais les résultats sont au rendez-vous. Cette industrie représenterait 1,3 Md€ de chiffre d’affaires à l’échelle mondiale et 112 M€ (+ 274 % en trois ans) en France, selon une étude du Ministère des sports. Les opérations sur les éditeurs sont légion, de Plug-In-Digital soutenu par Bridgepoint Development Capital à Voodoo accompagné par Tencent, GBL et Goldman Sachs. Les clubs d’e-sport attirent aussi, comme MCES qui a séduit Région Sud Investissement, en 2020, alors que Team Vitality, amorcé par Korelya Capital et Kima, a levé plus de 50 M€ auprès de Rewired GG fin 2019. Toujours d’après le ministère, il y aurait déjà 11,8 millions de français pratiquants ou fans d’e-sport en 2023. De quoi inscrire la discipline dans les sports olympiques dans un futur proche…?