Pesant 40 % du secteur agroalimentaire, les coopératives multiplient les initiatives, comme le dévoile l'enquête CFnews assorti du tableau de tous les deals du secteur. A elles seules, selon Coop de France, les coopératives ont signé 78 transactions, se positionnant tant à l'aval qu'à l'internationational
Soixante-dix-huit. C'est le nombre d'opérations dans lesquelles les coopératives agricoles françaises se sont illustrées sur les dix premiers mois de l'année, selon le syndicat national d'entreprises Coop de France. Très actives depuis trois ans, elles représentent aujourd'hui 40 % du secteur agroalimentaire avec 82,8 Md€ de chiffre d'affaires généré l'an passé. Et si les 2 900 entreprises coopératives françaises recensées restent très engagées dans la défense des territoires et des producteurs, elles semblent aujourd'hui avoir adopté des stratégies comparables à celles des groupes privés.
Orientation vers les métiers de l'aval
"Jusqu'ici les coopératives hésitaient à aller trop loin dans la transformation des produits sous peine de s'écarter de leur vocation première, explique Michel Chabanel (photo ci-contre), président de Céréa Gestion. Et bien que l'agroalimentaire demeure un secteur très défensif et solide - ce dernier contribue à hauteur de 3,1 % du PIB français selon les années -, elles ont compris que leur maîtrise de la transformation de la production agricole n'était pas assez développée." C'est ainsi qu'assez naturellement, elles s'orientent vers d'autres segments afin de mieux valoriser leurs produits et d'améliorer leurs marges. "Pour sécuriser la production agricole, les coopératives ont besoin d'intégrer des métiers de la première voire de la deuxième transformation, souligne Didier Bosc, directeur du développement d'Unigrains. Elles se positionnent donc de plus en plus sur des métiers de l'aval à plus forte valeur ajoutée." C'est dans cette optique que Cooperl Arc Atlantique a procédé en septembre 2009 au rachat de la division charcuterie salaison d'Unicopa baptisée Brocéliande (lire ci-dessous). Mais le groupe coopératif d'abattage et de transformation de porc ne s'est pas contenté de cette opération dont la valorisation était, pour rappel, comprise entre 5 et 8 fois l'Ebitda (lire ci-dessous). Cette année, il s'est, en effet, offert 80 % du réseau de boucheries traditionnelles Défi Viandes pour un montant de l'ordre de 7 fois l'Ebitda (lire ci-dessous).
Reprise d'entreprises familiales
Une stratégie que d'autres comme Limagrain ou Tereos, ont déjà adopté depuis plusieurs années et qu'ils cherchent à renforcer davantage. C'est dans cette perspective que la coopérative agricole auvergnate, propriétaire de Jacquet, s'est offert cet été le biscuitier Brossard, célèbre pour ses marbrés (lire ci-dessous). Par ailleurs, très actives dans les secteurs constitutifs de leur histoire ainsi que dans la boulangerie et la charcuterie industrielle, les produits laitiers ou encore le viticole, les entreprises coopératives s'intéressent de plus en plus aux rachats d'entreprises familiales. "Dans le secteur du fromage, il y a beaucoup de sociétés familiales de petite et moyenne taille qui rencontrent des problématiques de succession. Aujourd'hui, de nombreuses coopératives cherchent à prendre position sur ces dossiers", indique Benoît O'Mahony (photo ci-contre), directeur général de la banque d'affaires Transaction R et conseil des Fromageries de l'Etoile, détenu par la famille Lebard, racheté le mois dernier par Lactalis (lire ci-dessous).
Se protéger de la volatilité des matières premières
Des changements d'orientation qui permettent aux coopératives de se prémunir aussi contre la volatilité des cours des matières premières. Ininterrompue depuis 2009, cette dernière est tirée par la progression de la demande mondiale, notamment celle des pays émergents, et les difficultés rencontrées par l'industrie agricole pour y répondre. Entre le début et la fin de l'année dernière, le blé a ainsi augmenté de 91 % tandis que sur la même période, les cours du maïs et du soja ont quant à eux respectivement bondi de 57 % et 33 %. Une flambée des prix qui n'épargne ni le transport, ni l'emballage et qui entraine des conséquences particulièrement lourdes pour les PME dépourvues de marque ainsi pour celles pour lesquelles il est difficile d'aller plus loin dans les processus de production. "Par exemple, lorsque le prix des matières premières augmente, une entreprise spécialisée dans la découpe et le négoce de viande paiera le bétail plus cher puisque les éleveurs auront davantage dépensé dans les aliments - ceci est surtout vrai lorsque la société travaille avec des Labels qu’il faut entretenir -. Toutefois, sous la pression des distributeurs elle devra elle-même prendre en charge cette hausse, ce qui entrainera une contraction de sa marge brute", explique Marc Irisson (photo ci-contre), directeur associé et responsable du secteur agroalimentaire au sein du conseil en M&A Financière Monceau.
Produits marqués et à valeur ajoutée moins exposés
À l'inverse, pour les PME propriétaires de marques les négociations avec la grande distribution sont souvent moins délicates. En effet, l'augmentation des prix induite par la volatilité des cours des matières premières, peut, dans la plupart des cas, se justifier par des innovations produits. De plus, beaucoup de consommateurs sont attachés aux marques et sont donc moins sensibles à une légère hausse des prix. Toutefois, pour que cela se vérifie l'entreprise doit être positionnée sur des produits à valeur ajoutée. Ainsi, en dépit de sa marque, Entremont, propriété du groupe coopératif laitier Sodiaal depuis juin 2010 (lire ci-dessous), souffre d'être trop dépendant d'un produit devenu sans valeur ajoutée, à savoir l'emmental.
Rapprochements entre coopératives pour résister face aux distributeurs
"Afin de s’en sortir, certains industriels vont vers la concentration horizontale ou verticale, pour être plus forts ou réaliser des économies d’échelle, indiquent Thierry Guérin et Xavier Boeri (photo ci-contre de gauche à droite), associés au sein du conseil financier spécialisé sur l'agro-alimentaire small et mid cap, Transcapital. Mais l’abus du rapport de force par la GMS, malgré les tentatives de moralisation par le législateur, a largement brisé le lien de confiance avec les industriels. Cependant, le succès de Picard, qui privilégie de vrais partenariats, montre que les modèles les plus agressifs ne sont pas nécessairement les meilleurs." Affectés de la même manière, les groupes coopératifs n'ont, eux non plus, pas dit leur dernier mot. Si l'an passé Coop de France dénombrait 45 opérations de rapprochements entre coopératives, parmi lesquelles l'union de RAGT et d'In Vivo au sein de RAGT Semences (lire ci-dessous), sur les dix premiers mois de l'année 2011, il en a déjà recensé trente-huit. La reprise d'un peu plus de 51 % du groupe sucrier coté Vermandoise par son homologue Cristal Union sur la base d'une valorisation de 950 M€ fait partie des plus marquantes, tout autant que la fusion des coopératives normandes Agrial et Elle & Vire (lire ci-dessous). Menée en parallèle de la constitution d'une JV à 50/50 avec la société familiale Senoble, cette dernière opération a permis à Agrial de plus que doubler sa collecte de lait en franchissant la barre des 900 millions de litres.
Créer des champions européens...
Par ailleurs, les coopératives semblent avoir compris le caractère primordial de l'international dans les secteurs où les volumes jouent un rôle important. C'est notamment le cas pour les céréales, le sucre ou encore le malt. Forte de cinq acteurs dans le top 20 européen - InVivo (n°9 avec 4,4 Md€ de CA l'an passé), Terrena (n°13 avec 3,9 Md€ de CA), Tereos (n°14 avec 3,5 Md€ de CA), Sodiaal (n°16 avec 2,6 Md€ de CA sans compter Entremont) et Champagne Céréales (n°19 avec 2,4 Md€ de CA) - derrière le leader néerlandais FrieslandCampina (8,97 Md€ en 2010), la France fait déjà partie des champions de la coopération en Europe. Cependant, comme le souligne Adrien Pedron (photo ci-contre), chargé d'affaires chez Sodica intervenant notamment dans les secteurs viti-vinicole et agroalimentaire, "les coopératives françaises sont encore inférieures en termes de taille à celles d'Europe du Nord. Toutefois, elles ont désormais l’ambition de peser davantage à l’échelle européenne. Et ce, d’autant plus qu'elles voient en leur déploiement à l'international un excellent vecteur de communication."
... pour accéder à des marchés de taille plus conséquente
Un développement qui leur permettrait également d'accéder à des marchés de proximité et de taille plus conséquente. Troisième groupe coopératif français derrière InVivo et Terrena, Tereos fait partie de ceux qui ont déjà pris le virage. Après le rachat de l'usine de traitement de canne à sucre Usina Mandù et l'acquisition de 50 % de l'unité de transformation de canne à sucre Usina Vertente au Brésil, ce sucrier européen s'est, en effet, emparé, en septembre dernier, de 68 % du transformateur de manioc en amidon Halotek pour un montant de 20 M€ (lire ci-dessous). Limagrain et le basque Lur Berri en ont fait de même. Le premier s'est, pour rappel, offert 85 % des semences de maïs et de sorgho de Brasmilho et 70 % de l'activité maïs du semencier brésilien Sementes Guerra via Vilmorin, sa filiale à plus de 70 %, tandis que le second a reçu en mai dernier l'autorisation des autorités de la concurrence pour monter à 100 % dans Alfesca dont il détenait 34 % du capital depuis novembre 2009 (lire ci-dessous). Et selon nos sources, il essaie, avec l'appui de LBO France de racheter Labeyrie, filiale d'Alfesca (lire ci-dessous).
Ouverture du capital aux financiers en vue
Cependant, pour se déployer à l'international ou se positionner sur des opérations de taille plus significative, les coopératives, bien que très soutenues par les banques, vont aussi avoir besoin de nouveaux instruments financiers. "Elles pourraient envisager d'ouvrir le capital de leurs filiales, explique Elie Auriac (photo ci-contre), directeur général de Messis Finances, conseil en haut de bilan créé en 2007 par Unigrains. Certaines ont déjà montré la voie. C'est le cas de Siclaé avec le FSI, Unigrains et Necap en octobre 2010 (lire ci-dessous), de Limagrain avec le FSI en 2010 (lire ci-dessous) et Unigrains un an plus tard, ou encore d'Axereal avec Unigrains cette année. D'autres pourraient donc suivre ou être amenées à y songer." Réunissant 4 000 adhérents répartis dans le Sud de la France, le groupe Sud Céréales est passé à l'acte en octobre dernier. Ce groupe coopératif générant près de 100 M€ de chiffre d'affaires a, en effet, procédé à une augmentation de capital de 2 M€ auprès d'Unigrains complétée par une dette senior de 2,5 M€, pour s'offrir 34 % du distributeur familial d'agrofournitures Péris Montariol (lire ci-dessous).
Deux structures françaises centrées sur l'agro-business
"Pas suffisamment couvert aujourd'hui, le financement des groupes coopératifs devrait, dans l'avenir, intéresser de nouveaux investisseurs financiers, affirment Didier Bosc (photo ci-contre) et Michel Chabanel. Toutefois, il faut que la sphère financière s'adapte aux besoins mais aussi aux spécificités des coopératives. Ces dernières recherchent des partenaires de long terme." Si plusieurs structures comme Abénex, 3i, Activa Capital, Finadvance, IPO ou encore LBO France, disposent d'une compétence agroalimentaire, pour l'heure Unigrains et Idia sont les seules à se concentrer pleinement sur l'agro-business. Un secteur constitué à 97 % par des PME qui a généré 144 Md€ de chiffre d'affaires l'an passé et sur lequel CFnews a déjà enregistré 114 opérations depuis le début de l'année. Les trois plus importantes étant la reprise de Provimi par Cargill sur une valorisation de 1,5 Md€, l'OPA de Cristal Union sur Vermandoise déjà évoquée précédemment, et la reprise de 51 % de Yoplait par General Mills pour environ 800 M€ (lire ci-dessous et retrouver toutes les opérations en cliquant sur le Tableau CFnews des opérations agroalimentaires de 2011)
Lire aussi :
Renforcement sur les métiers de l'aval
L'OPA sur Brossard se précise (18/04/2011)
Nouveau défi pour Défi Viandes (04/03/2011)
Sodiaal avale Entremont Alliance (04/06/2010)
Cooperl Arc Atlantique tout proche d'avaler Brocéliande (09/09/2009)
Rapprochements entre coopératives
Agrial fait coup double dans les produits laitiers (10/10/2011)
Cristal Union donne naissance au cinquième groupe sucrier européen (04/10/2011)
RAGT et In Vivo unissent leur recherche (01/09/2010)
Déploiement à l'international
Tereos se déploie dans l'industie amidonnière au Brésil (09/09/2011)
Vilmorin double de taille au Brésil (04/08/2011)
Tereos grossit au Brésil (02/06/2010)
Ouverture du capital aux financiers
Péris Montariol se fertilise (26/10/2011)
Siclaé veut cultiver ses acquisitions (29/10/2010)
Limagrain veut pousser avec le FSI (01/03/2010)
Lur Berri s'alimente en Islande (03/11/2009)
Opérations phares sur le secteur
Provimi avalé par un industriel américain (16/08/2011)
General Mills boit du petit lait (18/03/2011)
Confidentiels CFnews :
Les fromageries de l'Etoile rejoignent le giron de...(28/10/2011)