La prévision de la croissance française pour 2025 a été revue à la baisse à 0,9 % par l’OCDE, début décembre. Cette perspective est donc inférieure à la progression de 1,1 % du PIB national attendu par l’INSEE en 2024. Pire, près des deux tiers des 81 associés de structures d’investissement gérant collectivement 148 Md€ sondés par CFNEWS tablent sur une récession pour l’année prochaine (résultats complets et méthodologie à retrouver ici). Mais plus qu’une crise économique, neuf gérants sur dix craignent avant tout pour la politique intérieure et budgétaire du pays. A l’heure où l’État avance sans continuité gouvernementale, cette incertitude pèse sur les transactions. « L’activité M&A est plutôt moyenne, contrainte par beaucoup d’incertitudes, estime François Jerphagnon, membre du comité exécutif, directeur général d’Ardian France et responsable d’Ardian Expansion. Un ralentissement a commencé avant l’été et s’est accentué à la rentrée. L’incertitude reste forte, et pas seulement due à la politique en France, je ne m’attends donc pas à un rebond franc pour 2025. »
Craintes géopolitiques
Faute de loi des finances 2025, le choc fiscal prévu pourrait ne pas avoir lieu. Mais « la fiscalité est un vrai sujet, souligne Sabina Comis, global managing partner du cabinet d'avocats Dechert. Les managers français de fonds observent avec attention l’actualité politique budgétaire autour du carried. Au Royaume-Uni, la hausse de la taxation a été menée sur un niveau acceptable pour les acteurs du private equity. Nous sommes désormais sur un paysage relativement harmonisé en Europe, ce qui est une bonne chose. Mais si la fiscalité évolue défavorablement en France, il est possible que des gérants installés en France se relocalisent, car nous sommes dans une industrie très internationale et mobile. » D'ailleurs, près d’un tiers des GPs sondés estime que la préservation des intérêts et du cadre réglementaire (carried, fees…) est un enjeu majeur pour la classe d’actifs.
Un environnement macro difficilement lisible
Au-delà de la politique intérieure, les gérants redoutent aussi la géopolitique avec encore en tête les conséquences indirectes de l’invasion de l’Ukraine (envolée des prix de matières premières et de l’énergie). « L’évolution de la scène macro-politique est très difficile à prédire, mais il est vrai que la conjonction de la guerre en Ukraine, du conflit à Gaza et d’une croissance assez faible en Europe créent un environnement difficile, concède Céline Méchain, co-head du bureau parisien et de la banque d’investissement de Goldman Sachs. On espère toutefois se diriger vers une sortie de crise, même s’il faut rester prudents. D’ailleurs, notre baromètre private equity, basé sur 15 critères (financements, sorties, fonds à déployer, levées de fonds…) est repassé en territoire positif après plus de deux ans de baisse d’activité, et cette reprise devrait se confirmer en 2025, même si cela reste une année de convalescence. »
Des opportunités sectorielles
Positionné sur le segment small cap, Philippe Dilasser, directeur associé chez Initiative & Finance, juge que l’encéphalogramme de l’activité prend de l’amplitude. « Nous avons constaté un deal-flow en baisse au premier semestre 2024 et une reprise au S2, ce qui est bon signe. L’année 2025 devrait être ainsi un peu plus simple que 2024 sur tous les fronts (levées, sorties et deals). » Des secteurs repartent, comme les services informatiques qui devraient en effet figurer parmi les dix plus scrutés en 2025 par les GPs, quelque 42 % des sondés indiquant qu'il s'agit du secteur le plus attractif. Si le contexte géopolitique fait trembler une majorité des associés de fonds, il est aussi vecteur d’opportunités selon 83 % d’entre eux, qui placent l’aéronautique et la défense en tête des perspectives d’investissement. D’ailleurs nombre de deals ont déjà émaillé le secteur cette année comme Moret Industries, notamment fabricant de pompes pour les sous-marins militaires, qui a accueilli en octobre un consortium majoritaire emmené par Ocean Peak Capital. Malgré une situation compliquée dans le segment des soins (radiologie, dentiste, Ehpad…), les services de santé se placent sur la deuxième marche, en étant cités par 60 % des répondants. « Les deals qui se bouclent portent sur des secteurs qui cochent toutes les cases : résilience, croissance, etc… et donc qui se valorisent bien, ce qui tire les prix vers le haut. Dans cet environnement, il faut rester fidèle à ses principes d’investissement. Nous sommes convaincus des mérites d’une base actionnariale forte. Au-delà du management, avoir une association large des cadres et salariés au capital est bénéfique pour les sociétés. Ce n’est pas l’ESG contre la performance, mais au profit de celle-ci », avance François Jerphagnon.
La boîte à outils du private equity
Sur les secteurs moins attractifs, les gérants doivent se retrousser les manches pour créer encore plus de valeur. Ils peuvent pour cela compter sur leurs operating partners, dont le poids est toujours accu au sein de la classe d’actifs (+ 80 % en cinq ans selon France Invest). Ainsi le TRI brut moyen serait de 35 % sur les participations vendues qui ont été accompagnées par un operating partner, contre 26 % sans, d’après l’association qui vient de fêter ses 40 ans. « Il y a eu des années favorables pour le private equity, avec des taux bas, de la croissance et des multiples en hausse. Après cette période dynamique, même si le marché était compétitif, il faut maintenant prendre en compte d'autres aspects, suggère Guy Lodewyckx, head of Amundi’s private market multimanager strategies à Paris. De nombreux gérants se sont équipés en interne afin d’accompagner leurs participations et faire face aux nouveaux enjeux (capital market, RH, ESG, digital…). » L’appui de ces professionnels est donc utile, mais coûteux, surtout dans le cadre d’alourdissement croissant des charges qui pèsent sur les sociétés de gestion face aux enjeux réglementaires et ESG. Cela pousse donc à la consolidation avec des transactions portant sur des sociétés de gestion toujours plus importantes, comme IK Partners qui a rejoint le giron de Wendel. « La consolidation va dans le sens de l’histoire, mais le marché ne devrait pas se concentrer aux mains d’une poignée d’acteurs, envisage Jean-Bernard Meurisse, président et directeur associé d’Initiative & Finance. Il va y avoir une polarisation entre des grosses plateformes multi-métiers et des spécialistes du small et smid cap ou sectoriels. Il est apparu cependant pour cette seconde catégorie une question de taille critique. Être mono-stratégie devient à risque. Nous avons donc lancé le fonds Tomorrow et réfléchissons aujourd’hui à d’autres développements en conservant notre ADN et notre orientation performance. La taille critique pour absorber les frais généraux et avoir les outils pour bien se développer se situe probablement pas loin du milliard d’euros d’actifs. »
Transition générationnelle
Initiative & Finance est loin d’être un cas isolé dans le marché, puisque 42,5 % des gérants envisagent au moins une évolution au sein de leur société de gestion en 2025, avec pour un peu moins de la moitié d’entre eux le lancement d’une nouvelle stratégie, près d’un quart une croissance externe et 13 % l’entrée d’un investisseur minoritaire au capital. Au-delà de l’adossement, les pistes sont nombreuses entre la Bourse, le GP-stake, comme Jolt Capital avec Armen, ou encore l’entrée d’un institutionnel, tel UI Investissement avec MACSF et Crédit Agricole Centre France. « En tant que LP, l’un des grands enjeux structurels est la transmission d’une génération à l’autre et l’actionnariat des sociétés de gestion, avertit Guy Lodewyckx. C’est un axe important dans nos due diligences et nous attendons de la transparence la part des GP sur ces aspects. » Avec l’augmentation de la taille des sociétés de gestion et la progression continue de leur valorisation, le sujet de la transmission du capital aux jeunes générations devient de plus en plus compliqué. « La classe d’actifs n’a pas pris le sujet de la transmission suffisamment à bras-le-corps, regrette un observateur. Il y a un bon nombre de sociétés de gestion qui sont encore aux mains d’associés en âge de la retraite. » Ce sujet peut contraindre les fundraisings, mais le premier blocage actuellement sur le front des levées reste le faible niveau des sorties (retrouvez prochainement notre enquête sur les perspectives en matière de levées de fonds).