Avec près de 90 Md€ de capitaux entrés dans le pays l'an passé, l'Espagne attire à nouveau les investisseurs étrangers. Débat sur les caractéristiques de ce marché avec quatre experts réunis par Accuracy avec CFNEWS.
Alors qu'il était question de sa faillite et de sa sortie de l'Euro il y a un an, l'Espagne attire désormais le regard des investisseurs étrangers. En témoigne le récent investissement de 285 M€ d'Eurazeo dans la marque de mode catalane Desigual (lire ci-dessous) ou encore la montée, en décembre dernier, d'Ardian à 15 % du capital du plus grand réseau d’oléoducs de produits pétroliers CLH (télécharger ci-dessous le tableau CFNEWS des 25 acquisitions françaises en Espagne depuis 2013). « À un moment donné même les capitaux nationaux fuyaient le pays, mais la situation a changé très rapidement, rappelle Eduard Saura, managing Partner en charge du bureau de Madrid (comptant 30 personnes) d'Accuracy, lequel recevait ce mardi 8 avril dans ses locaux parisiens à l'occasion d'une table ronde organisée avec CFNEWS. Lorsque l'Europe a garanti la liquidité, la prime de risque a commencé à diminuer (elle est de 159 à avril 2014 versus 50 pour la France) ce qui a permis la réalisation des premiers investissements opportunistes de fonds américains et anglo-saxons dès juillet 2013. » Un avis partagé par le managing partner de Deutsche Bank, Philippe Grasser. « Certains financiers ont été surpris par la vitesse à laquelle les investisseurs se sont ré-intéressés à l'Espagne. Environ 90 Md€ de capitaux sont ainsi entrés dans le pays en 2013, alors que plus de 180 Md€ en étaient sortis un an plus tôt. » Des changements qui n'auraient pas été possibles sans différentes réformes.
Disparition du risque d'éclatement de la zone Euro
« En 2012, le législateur a révolutionné le droit social avec l'objectif de re-dynamiser le marché du travail en simplifiant les modalités de rupture des contrats, promouvant ainsi le dialogue social, mais aussi pour favoriser l'embauche et la diminution du chômage- lequel reste certes très élevé-, insiste Nuria Bové (photo ci-contre), associée au bureau de paris du cabinet d'avocats espagnol Cuatrecasas Gonçalves Pereira présent dans toute l'Espagne notamment. Il a, en outre, donné un second souffle au secteur financier en restructurant le système des anciennes caisses d'épargnes et en favorisant la recapitalisation des banques. Les réformes ont également eu pour but de renforcer les systèmes d'appui aux entreprises et les aides à l'internationalisation. Plus récemment, en mars dernier, un décret-loi réformant la procédure de redressement judiciaire a été adopté pour faciliter la restructuration et le refinancement des sociétés en difficultés et tenter d'éviter la liquidation judiciaire, que ce soit par la cession de branches d'activité ou la capitalisation des créances ». Aujourd'hui, les considérations macro-économiques et micro-économiques semblent donc plus que jamais en faveur de l'Espagne. Et ce, d'autant que le risque d'éclatement de la zone Euro a disparu.
Un vrai pays industriel
Fonds souverains, investisseurs opportunistes et family offices n'hésitent donc plus à se tourner vers le pays. « L'Espagne est un vrai pays industriel qui compte de belles pépites dans l'agroalimentaire et les industries de transformation, insiste Pierre Gallix, qui dirige le bureau parisien du fonds mid-cap pan-européen Ergon Capital. C'est aussi un pays dans lequel il y a encore beaucoup à faire dans le tourisme (10 % du PIB) et la distribution. » L'Espagne regorge également d'opportunités pour les sociétés souhaitant compléter leurs expertises en matière de communication ou de nouvelles technologies. Et ses atouts ne se limitent pas à sa diversité sectorielle. « C'est un marché sur lequel la concurrence est moindre que dans d'autres pays, poursuit Pierre Gallix (photo ci-contre). C'est un grand pays comptant un grand nombre d'entreprises et un marché sur lequel les retours peuvent être élevés pour les investisseurs, en contrepartie d'un risque perçu comme étant plus important. C'est aussi un marché où de nombreuses sociétés - de toutes tailles - sont bien exposées à l'international, notamment en Amérique Latine. »
Peu de fonds de private equity sur le marché
La qualité de sa main d'œuvre et de ses équipes de management est, quant à elle, avérée. « Plusieurs écoles de commerce espagnoles, à Madrid et à Barcelone - l'Instituto de Empresa (IE), l'ESADE et l'IESE -, figurent aujourd'hui parmi les 15 meilleures du monde », insiste Nuria Bové. Sur ce marché où beaucoup de grands groupes cherchent encore à se désengager d'activités non-core business - en témoignent la récente cession de Cemusa, la filiale de mobilier urbain et de transports du madrilène FCC, à JCDecaux (lire ci-dessous) ou encore la vente de King Jouet Espagne par l'italien Giochu Preziosi à Ludendo -, les fonds étrangers ont d'ailleurs une véritable carte à jouer. « Le secteur du private equity espagnol - qui reste petit - est en pleine mutation, assure Eduard Saura. On recense, en effet, peu de fonds sur le marché. Ces derniers qui ont généralement plus de mal à financer de nouvelles opérations en mid-cap que les fonds étrangers, peinent a faire tourner leurs portefeuilles et à lever des nouveaux fonds. » On remarque néanmoins que beaucoup de nouvelles structures émergent sans grande difficulté dans les secteurs des technologies, des biotech ou des services.
Trois IPO sur le marché immobilier depuis janvier
En Espagne, où les multiples d'EBE restent à des niveaux historiquement faibles, trouver des financements n'est cependant pas toujours évident. « Des financements sont disponibles pour l'immobilier "prime" à des ratios de 50% voire de 60% de LTV et pour les grandes sociétés », insiste Philippe Grasser. Depuis le début de l'année, on recense d'ailleurs trois IPO sur le marché immobilier qui a, pour mémoire, enregistré une chute des prix de 30% suite à l'éclatement d'une bulle spéculative il y a six ans et s'est finalement stabilisé après la concentration des actifs immobiliers des huit banques (qui ont bénéficié d'aides publiques) entre les mains de la SAREB (l'équivalent d'une Bad Bank). Parmi elles figurent l'introduction de Grupo Lar et du véhicule d'investissement Hispania, créé par le fonds Azora. De son côté, Deutsche Bank cherche à lever 1,5 Md€ pour son nouveau véhicule immobilier. « Cependant, pour les PME et les actifs secondaires, trouver des financements est plus compliqué ce qui offre des opportunités à des fonds de dettes ou à d'autres investisseurs à travers des structures de debt to equity », poursuit le managing partner de Deutsche Bank.
Peu d'activité en distress pendant la crise
Aujourd'hui, les acteurs parviennent, en effet, à trouver les fonds nécessaires au financement de leurs acquisitions en Espagne pour un endettement compris entre 2,5 et 3 fois l'Ebitda mais au delà, cela peut s'avérer difficile. Compte tenu de la violence de la crise qui a frappé le pays, nous aurions également pu nous attendre à la multiplication des opérations de retournement. Mais la réalité est tout autre. « Il y a eu peu d'activité en distress pendant la crise car le risque macro-économique était trop grand et la précédente loi sur les faillites était trop contraignante confirme Eduard Saura (photo ci-contre). La nouvelle loi permet d'acheter une société - ou une branche d'activité - en redressement judiciaire en découpant précisément les actifs et passifs à reprendre. On recense d'ailleurs plus d'opérations de retournement aujourd'hui qu'il y a trois ans. » Aujourd'hui, même si sa dette publique (958 Md€ en 2013, soit 93,7 % du PIB) et son taux de chômage (25,8 % en janvier 2014) restent élevés, le pays voit de plus en plus d'indicateurs tourner au vert. Sa balance commerciale en atteste.
Beaucoup de corporate à l'achat en Espagne
Alors que le deal flow demeure assez faible sur l'ensemble des pays d'Europe continentale, le retour de l'Espagne sur les écrans radars est désormais indéniable. Et l'enthousiasme qu'il suscite dépasse déjà le monde du private equity et des institutions financières. « Les corporates étrangers, et notamment non-européens sont également à l'achat en Espagne, soutient Philippe Grasser (photo ci-contre). Certains corporate, notamment Nord-Américains, commencent d'ailleurs à implémenter en Espagne leurs bases européennes ou leurs têtes de pont d'expansion vers l'Amérique du Sud, notamment dans les domaines de la technologie et de l'ingénierie. » Porté par le dynamisme de Madrid, du Pays Basque, de la Catalogne et des Baléares, le pays qui attend de nouvelles réformes sur l'impôt sur les sociétés et la TVA de certains produits, semble donc plus que jamais synonyme d'opportunités, aussi bien pour les investisseurs financiers que pour les industriels.
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Télécharger le tableau des acquisitions françaises en Espagne depuis 2013 dans les bases de données CFNEWS (PDF)