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Du M&A classique au distressed M&A


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Isabelle Buffard-Bastide, Desfilis

En cette période difficile de crise sanitaire que nous traversons, chacun s’interroge légitimement sur les opportunités de vendre ou d’acheter une société dont les résultats se sont dégradés et dont l’activité pourra être encore plus ou moins réduite pendant une durée incertaine à ce jour. Certains actionnaires pourraient ainsi être tentés de céder une société non stratégique et/ou qui nécessite une restructuration notamment financière qu’ils ne souhaitent pas ou ne peuvent pas mener. Compte tenu du contexte actuel, ils pourraient même être disposés à accepter des prix de cession décotés. De l’autre côté, les acquéreurs pourraient être nombreux à vouloir bénéficier d’opportunités sans doute plus favorables, tout en restant attentifs à circonscrire leurs risques.

Les bonnes pratiques pour l’acquisition classique d’une société « in bonis » sont normées et connues. Il en est de même pour le rachat d’une entreprise en redressement ou liquidation judiciaires qui se déroule dans un cadre juridiquement sécurisé. Mais quels sont les risques spécifiques et comment les atténuer si la société à céder se trouve dans une « zone grise », c’est-à-dire pas encore en état de cessation des paiements, mais proche de cet état ou qui pourrait le devenir pendant les négociations ? Pour l’acquéreur, mener des audits approfondis, renforcer les garanties des cédants et insérer des clauses d’earn-out ne seront pas toujours des mesures suffisantes pour sécuriser l’opération. Pour le vendeur, il faudra évidemment, durant tout le processus de vente, être totalement sincère et transparent dans les informations communiquées. Mais qui peut prétendre établir des situations prévisionnelles de qualité en ces temps incertains ?

Les risques liés à une situation de cessation des paiements

La notion de « cessation des paiements » est une notion fondamentale dans le milieu des entreprises en difficulté car elle commande l’ouverture des procédures collectives dans les 45 jours de sa constatation.La cessation des paiements résulte de la comparaison entre le passif exigible et exigé et l’actif disponible.Mais cette situation n’est pas toujours facile à appréhender et certains dirigeants peuvent être dans l’incertitude.De cette incertitude peuvent naître différents risques.

Le risque de nullité des actes conclus pendant la période dite « suspecte »

Les actes conclus avec une société en état de cessation des paiements mais qui ne fait pas encore l’objet d’une procédure collective peuvent être ultérieurement annulés.Le tribunal peut fixer la date de cessation des paiements à une date allant jusqu’à 18 mois avant le jugement d’ouverture de la procédure collective.Cette période entre la date de cessation des paiements et le jugement d’ouverture de la procédure est appelée « période suspecte ». Certains actes qui seraient conclus pendant cette période peuvent ou doivent être annulés. Il conviendra donc de mener les audits nécessaires pour vérifier la situation exacte de la cible. Il faudra également s’assurer que le vendeur n’est pas lui-même dans une telle situation.En effet, outre le risque pour l’acquéreur de ne pas pouvoir faire exécuter les garanties qui seraient consenties par le vendeur dans une telle hypothèse, la cession de droits sociaux de la cible pourrait aussi être remise en cause. Dans le doute, il conviendra sans doute exiger l’ouverture d’une procédure de conciliation.

Le recours à une procédure de conciliation

L’ouverture d’une telle procédure est possible si la société n’est pas en état de cessation des paiements ou si elle l’est, mais depuis moins de 45 jours. Cette procédure permet de se placer sous la protection du tribunal et de sécuriser les accords conclus sous l’égide d’un conciliateur. En effet, si les accords conclus dans ce cadre sont homologués, un tel jugement aura pour conséquence de « cristalliser » l’absence de cessation des paiements à cette date. L’opération pourra alors être réalisée sans crainte d’avoir été conclue pendant la période suspecte et donc de se voir annulée.

Les risques particuliers de mise en jeux de la responsabilité du vendeur

Pour le vendeur, il conviendra de sécuriser l’opération et d’éviter que l’acquéreur ou que des tiers n’engagent sa responsabilité, en particulier si la société cédée devait faire l’objet de l’ouverture d’une procédure collective quelques mois seulement après sa cession. Dans un tel scénario, outre les mises en jeu des garanties conventionnelles, l’acquéreur pourrait demander(i) la nullité de la vente ou (ii) une indemnisation supérieure aux montants des plafonds négociés dans le contrat de garantie, s’il estimait avoir été trompé sur la réalité de la situation de la société. Le tribunal de son côté, pourrait condamner le vendeur, s’il a été le dirigeant de droit ou de fait de la société cédée, à combler tout ou partie de l’insuffisance d’actif si une faute de gestion était constatée. Or, le fait de ne pas « déposer le bilan » dans les 45 jours de la survenance de l’état de cessation des paiements est constitutif d’une faute de gestion.Enfin, les salariés de la cible pourraient également être tentés de demander au vendeur une indemnisation ou leur réintégration dans le groupe. Le recours à un accord homologué dans le cadre d’une procédure de conciliation pourra sécuriser le vendeur et réduire, voire annuler, tous ces risques.Cependant, le recours à une procédure de conciliation peut ne pas être justifiée. Les conseils spécialisés dans ce domaine sauront apprécier l’opportunité ou pas d’y recourir. Si l’opération se conclut en dehors de tout cadre judiciaire, il conviendra d’être encore plus vigilant quant à la délivrance d’une information sincère et loyale et sur la capacité de l’acquéreur retenu à redresser la société et à assurer sa pérennité. Il conviendra de s’assurer en effet que l’acquéreur a un projet d’entreprise sérieux et qu’il a la capacité à assurer la pérennité financière et opérationnelle de la société. A cet effet, le vendeur devra se livrer à un véritable audit du projet d’entreprise proposé.Le vendeur devra également négocier avec l’acquéreur qu’il prenne certains engagements fermes de nature à garantir la bonne exécution de son projet d’entreprise. Ces engagements pourront notamment porter sur (i) le maintien des emplois et des sites de production (ii) la recapitalisation de la société etc. Ces engagements devront être soigneusement décrits dans les accords conclus.La qualité de l’acquéreur et les engagements particuliers qu’il accepterait de souscrire devront réellement constituer des conditions essentielles et déterminantes de la décision du vendeur de lui céder la société.

Les risques de nullité de la vente en cas de prix symbolique ou négatif

Il n’est pas rare que dans ce type d’opérations, le prix de cession des titres de la cible soit d’un euro symbolique. Une telle vente serait susceptible pourtant d’être annulée pour avoir été conclue à vil prix ou sans prix. Ce risque de nullité n’est toutefois pas absolu, en particulier si les parties ont convenu de rajouter à ce prix symbolique, des obligations à la charge de l’acquéreur (telles que la recapitalisation de la société, la reprise de dettes, la substitution de cautions données par le vendeur ….) Il conviendra donc de rédiger avec précaution toutes les contreparties bénéficiant au vendeur en indiquant clairement que les charges qui pèsent sur l’acquéreur viennent augmenter le prix de cession.La question du prix négatif est plus délicate et le risque de nullité plus important dans cette hypothèse. Une telle situation pourrait notamment se présenter si, par application d’une clause de révision de prix, le vendeur était contraint de reverser à l’acquéreur une somme supérieure au prix de cession.Compte tenu de ce risque, l’acquéreur prendra soin d’éviter la mise en place un tel mécanisme de révision de prix et privilégiera le recours à une indemnisation de l’acquéreur dans le cadre de la mise en jeux d’une convention de garantie.

Les dernières mesures prises par le gouvernement

Le gouvernement a récemment modifié certaines dispositions du droit des entreprises en difficulté afin de les adapter au contexte de pandémie. Il a ainsi institué une période « juridiquement protégée » qui court à compter du 12 mars 2020, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire prévue fin août 2020 (la « Période »). Ainsi, à titre exceptionnel, si une société n’est pas en état de cessation des paiements le 12 mars 2020, la survenance d’un tel état pendant la période ne contraindra pas le débiteur à procéder à une déclaration de cessation de paiements dans le délai de 45 jours. La société pourra également retarder ses demandes d’ouverture d’une procédure de conciliation qui pourra être obtenue nonobstant une situation de cessation de paiements depuis plus de 45 jours. Toutes ces mesures d’urgence prises par le gouvernement dans un contexte de crise sanitaire mondiale inédite permettront d’avoir plus de temps pour négocier et réaliser les opérations de distressed M&A, tout en bénéficiant d’un cadre plus sécurisé. Souhaitons que ce type de transaction, qui peut présenter de réelles opportunités, tant pour le vendeur que pour l’acquéreur, se développe et permette le redressement de nombreuses sociétés.

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