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Bien gérer la crise pour mieux vivre le « jour d’après »


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Philippe Héry, Oderis

Seul un scénario de thriller aurait pu prévoir la situation inédite à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés. La crise sanitaire du Covid 19 est caractérisée non seulement par sa dimension planétaire, mais également par le confinement de millions de personnes qui aura mis quasiment à l’arrêt de nombreux secteurs d’activité et qui se traduira inévitablement par une crise économique dont il est encore difficile de déterminer l’ampleur à l’heure actuelle.

L’objectif ici n’est pas d’appréhender les enjeux macroéconomiques de cette crise mais d’essayer d’envisager, exercice difficile, ses impacts sur notre quotidien et de donner des pistes du bon comportement à avoir dans ce genre de situations. Cette crise a été plus violente qu’en 2008 et elle sera plus profonde. Elle se traduira vraisemblablement par une évolution des « business models » (relocalisation d’activités en France, accélération de la mutation digitale, changement de comportement des consommateurs,…).Mais il ne faut pas se tromper sur l’approche à retenir pour les semaines et mois à venir, et procéder par étape. En effet, pour faire un parallèle avec notre quotidien, toutes proportions gardées, il faut d’abord gérer l’urgence pour avoir l’opportunité d’appliquer le traitement de fonds, le plan de retournement, pendant la période de convalescence.

Quelles mesures d’urgence à initier, quelles erreurs à éviter ?

La priorité est tout d’abord d’assurer la survie à court terme, en privilégiant le pilotage de la trésorerie à celui de la performance. L’impossibilité d’honorer ses échéances de trésorerie à court terme priverait en effet l’entreprise de toute chance de rebond. Il faut donc se donner les moyens de financer cette période intercalaire de crise. Pour ce faire, l’entreprise doit, a minima, être en mesure d’appréhender de manière hebdomadaire ses flux d’encaissements et de décaissements pour les 3 mois à venir. Cette prévision de trésorerie « à 13 semaines » est un outil d’aide à la décision pour acheter du temps en ayant l’objectif de limiter la dépendance vis-à-vis des tiers. Il faut prendre les bonnes mesures, adaptées à la situation et aux besoins, en réfutant les décisions « court-termistes » qui pourraient résulter de pressions de l’environnement. A titre d’exemple, il peut être pertinent de recourir à la nomination d’un mandataire ad’hoc pour suspendre les effets d’une dénonciation des lignes court terme par des partenaires bancaires. La réussite de cette gestion de crise dépendra également de la capacité du chef d’entreprise à s’adapter au contexte, les qualités requises en « temps de guerre » n’étant pas les mêmes qu’en « temps de paix », et à s’entourer des personnes compétentes dans ce contexte. Les PME/ETI ne disposent pas forcément des ressources adaptées, tant humaines que matérielles (manque de fiabilité des outils de pilotage de la performance et de la trésorerie par exemple).

Les mesures traditionnelles pour optimiser son cash consistent notamment à limiter les décaissements, au travers des leviers exceptionnellement consentis par l’Etat pendant cette crise (report des charges sociales et des échéances fiscales hors TVA, indemnité d’activité partielle), mais également par le décalage d’échéances fournisseurs. Ce dernier levier doit cependant être appréhendé avec prudence. En effet, même si les ressources potentielles peuvent être significatives (70% du financement des PME/ETI est assuré par le crédit inter-entreprise en France, bien avant les crédits bancaires), il ne faudrait pas que des décisions à court terme pénalisent le redémarrage à plus long terme, par la perte de confiance ou la disparition de fournisseurs dont les échéances n’auraient pas été honorées. Une dégradation de la cotation chez les assureurs crédits est également un risque potentiel.

Que penser des outils mis en place depuis le début de la crise ?

En complément, le gouvernement a déployé dès le début de la crise, un certain nombre d’aides spécifiques pour faire face à cette crise, en collaboration avec d’autres intervenants dont la BPI. Après quelques semaines de recul, il apparaît que la principale mesure mise en place est le Prêt Garanti par l’Etat (« PGE »). Le PGE est un prêt, accordé par les banques, bénéficiant d’une garantie de l’Etat allant de 70 à 90 % selon la taille de l’entreprise, dont l’objet est de financer les impacts de la crise sanitaire sur la trésorerie. Ce prêt bénéficie d’une franchise de remboursement pendant les 12 premiers mois et, au choix de l’emprunteur, d’une possibilité de remboursement sur une durée pouvant aller jusqu’à 5 ans à l’issue de la franchise.

Depuis son instauration, de nombreuses interprétations et discussions ont lieu quant aux conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de ce prêt qui doit satisfaire à la règlementation européenne.

Au-delà de ces critères, et même si le risque pour les banques est la plupart du temps limité à 10% du montant emprunté, elles sont très vigilantes au respect des principaux postulats suivants :

  • Un dimensionnement du montant du PGE déterminé en cohérence avec l’impact spécifique de la crise sur la trésorerie (Ebitda et BFR principalement), et ne devant pas ou financer des difficultés antérieures, ou être surdimensionné en apportant un confort de trésorerie au-delà du besoin mis en évidence et ;
  • Une capacité pour l’entreprise à rembourser cette nouvelle dette dans le timing envisagé, sachant que si une partie de l’impact de la crise ne peut qu’être temporaire (« surstock » ponctuel qui pourrait se résorber au fil du temps par exemple), la perte générée ne se récupérera pas.

Le risque ainsi appréhendé par les banques est, qu’en cas de remise en cause de la garantie pour non respect des critères d’attribution, leur exposition soit au final de 100%. C’est pourquoi, elles sont très vigilantes avant de donner leur accord et, pour les dossiers plus significatifs, elles demandent une sécurisation financière, par un tiers indépendant, des informations sous-jacentes à la demande de prêt.

Quels seront les enjeux clés de la reprise ?

Au-delà du financement de cette période de crise, viendra ensuite le temps d’envisager le rebond. Même s’il est encore trop tôt pour élaborer à ce stade un scenario de sortie, par manque de visibilité quant aux impacts globaux de cette crise sans précédent, il peut être utile de poser, dès à présent, les principes à retenir. Il sera tout d’abord nécessaire de retenir une approche dépassionnée de la situation pour prendre les bonnes décisions. Aucune option ne doit donc être écartée et il sera important de travailler sur un vrai plan de transformation, en étant accompagné de manière indépendante et qualifiée. Tous les sujets devront être traités, tant en termes d’axes opérationnels et stratégiques, que de mise en place d’outils de pilotage de la performance et de la trésorerie. Il faudra notamment être vigilant quant au chiffrage du besoin global à envisager, intégrant par exemple la reconstitution d’un BFR post reprise ou le rattrapage d’investissements reportés. Ce plan devra être financé, ce qui nécessitera souvent un renforcement de fonds propres, alors que les entreprises françaises en pâtissent et que la crise va se traduire par une hausse de l’effet de levier (hausse de la dette dans un contexte de recul de l’Ebitda). Il est probable qu’un certain nombre d’acteurs, dont l’Etat, envisagent de mettre en place des outils dédiés dans ce contexte. Pour les entreprises qui bénéficieront d’une bonne santé financière en sortie de crise, ce sera également l’occasion de saisir de nouvelles opportunités de reprise de sociétés en plus grande difficulté.

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